Collectif 20 ans barakat Ile de France |
el waten 14 mai 05 Charte arabe des droits de l’homme La mise en garde des Maghrébines La déclaration de Tunis adoptée par les 3 associations maghrébines SOS femmes en détresse, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATDF) et l’Association marocaine des femmes démocrates (amfd), à l’issue du séminaire sur les femmes et les médias tenu à Tunis les 7 et 8 mai derniers, invite les gouvernements respectifs (Algérie, Maroc et Tunisie) à ne pas ratifier la charte arabe des droits de l’homme. Selon une militante de l’ATFD, cette charte vient tout simplement remettre en cause les acquis arrachés jusque-là par les mouvements féminins dans les pays arabes, notamment le Maroc et la Tunisie, par la modification des statuts personnels des deux pays et consacrés par les conventions internationales des droits de l’homme. « Il n’est pas question que la Tunisie ratifie cette charte qui a recours à la notion de discrimination positive instituée au profit de la charia et légitime le principe des quotas. Si la polygamie est abolie en Tunisie, elle risque d’être autorisée en ratifiant cette charte », a-t-elle signalé, avant de préciser que les dispositions de ce texte sont actuellement en débat au sein de l’Assemblée populaire tunisienne. Pour cette militante des droits des femmes, des pseudo droits seront accordés à cette frange de la société. « Nous devons faire pression sur nos Etats afin de rejeter cette charte rétrograde ou simplement la ratifier avec des réserves », a-t-elle indiqué, en précisant que celle-ci se réfère en même temps aux principes universels des droits humains et aux principes consacrés par les religions, notamment la religion musulmane. Elle a appelé à une forte mobilisation des femmes arabes : « C’est aux femmes de se mobiliser pour préserver nos droits les plus élémentaires pour mettre fin à toute forme de discrimination. » Pour elle, la revendication des femmes est l’égalité des sexes et la parité. A noter que les dispositions de la charte arabe des droits de l’homme reconnaît que l’homme et la femme son égaux sur le plan de la dignité humaine, des droits et des devoirs. Mais ces droits sont reconnus dans le cadre de « la discrimination positive et les autres lois divines et par les législations et instruments internationaux » (art 63). Ainsi, la charte reconnaît le principe d’égalité, mais pas le principe selon lequel les droits des femmes sont une partie intégrante des droits humains, tel que retenu par la conférence internationale sur les droits de l’homme, fait-on remarquer. D’autres lacunes ont été aussi relevées concernant cette non-reconnaissance des droits et qui sont toujours le résultat d’un compromis entre les instruments internationaux et les instruments religieux. Il est reproché également aux rédacteurs de cette charte de ne faire référence qu’à l’égalité devant la loi, mais pas à l’égalité dans la loi. « La charte garantit cependant aux femmes la possibilité de donner leur nationalité à leurs enfants en tenant compte de l’intérêt de l’enfant, mais pas en tant que droit égal reconnu aux deux parents sans distinction », signale-t-on. De son côté, l’avocate marocaine du barreau de Casablanca et membre de l’AMFD, Zahia Ammoumou, estime que cette charte est « la négation tout court des droits des femmes ». Ce projet en débat vient, a-t-elle ajouté, encore une fois remettre en cause tous les principes d’égalité en droits. Elle propose d’engager une réflexion sur ce sujet et tenter de faire pression sur les Etats. Ettarik el jadid, juin 05, Tunisie Lorsqu’on touche aux symboles, on ébranle l’édifice Les Etats de la Ligue arabe se sont dotés d’une « charte arabe des droits de l’homme ». Que ces États, réputés pour leur non-respect des droits humains fondamentaux, décident d’adopter un texte commun sur les droits de l’homme et qu’ils le soumettent à ratification à leurs Assemblées respectives est une excellente chose en soi. Mais une question légitime s’impose. Pourquoi une « charte arabe » ? Cette charte apporte-t-elle aux citoyens de ces pays un plus par rapport aux différents textes internationaux en la matière (Déclaration universelle des droits de l’homme, pactes internationaux…), qui ont été ratifiés par les pays arabes (avec des réserves concernant les droits des femmes)? Cette charte instaure-t-elle dans un ensemble régional homogène un système de protection plus performant des droits de l’homme ? - Ou alors fallait-il un texte spécifique aux pays arabes parce qu’il y aurait une spécificité des droits de l’homme arabe, et si oui, laquelle ? La réponse aux deux premiers questionnements est relativement aisée. 1- La Charte arabe des droits de l’homme ne lève pas les réserves sur les textes internationaux ratifiés par les dits États. La Charte arabe des droits de l’homme s’inscrit dans la lignée des instruments internationaux existants et y fait d’ailleurs référence à de nombreuses reprises, autant dans son préambule que dans ses 54 articles. Elle innove cependant dans son préambule en s’inscrivant dans une référence à la nation arabe, à l’islam et aux autres « religions célestes ». Dans leur contenu, les différents articles consacrent, des droits individuels et collectifs politiques, économiques et sociaux ainsi que des libertés fondamentales publiques et privées. Reprenant, pour l’essentiel, les textes internationaux existants, la Charte se veut une synthèse de ces textes appliquée aux pays signataires. Si elle contenait un système cohérent et contraignant pour les États signataires, elle innoverait par rapport aux engagements internationaux actuels des pays signataires. 2- La charte n’instaure pas un système cohérent d’application et de contrôle. Rien dans le dispositif ne permet à l’État signataire et récalcitrant d’être contraint d’en respecter le contenu. - Il n’existe pas de juridiction internationale qui trancherait des litiges nés de son application. - Les citoyens ne peuvent s’en prévaloir que devant leurs juridictions nationales respectives. - Les articles 45, 46, 47 et 48 prévoient la mise en place d’une commission qui a pour rôle de contrôler l’application de la Charte et de faire des rapports sur les pays. Or les membres de la dite commission sont proposés par les États et la société civile en est exclue. Son autonomie de décision n’est garantie que par l’engagement des États. Or quel est le garant, dans ce cas, de la neutralité des rapports ? Comment penser qu’un État membre qui ne respecterait pas la Charte et porterait atteinte aux droits et libertés consacrés puisse se dénoncer comme n’ayant pas respecté la charte ? - Sans la participation d’instances indépendantes et d’observateurs de la société civile, il est impossible d’en garantir l’application. Sur cet aspect, la Charte est nettement en deçà de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la Charte africaine, que certains des signataires ont pourtant ratifiée. 3- Pourquoi une Charte arabe des droits de l’homme ? En examinant la charte adoptée qui sera soumise à la ratification du Parlement tunisien, et en la confrontant aux 3 questionnements, on ne peut que constater que l’objectif semble être, au travers d’un texte de portée générale, d’accréditer la thèse qu’il y aurait une spécificité des droits de l’homme dans le monde arabe. Quelques questions à soulever, elles concernent exclusivement les droits de femmes : L’alinéa c de l’article 3 dispose que « l’homme et la femme sont égaux en dignité humaine, en droits et en devoirs et ce dans le cadre de la discrimination positive instituée par la charia islamique, les préceptes des autres religions révélées, et par les législations et pactes internationaux en vigueur au profit de la femme ». Cette rédaction sibylline laisse perplexe. En effet, ou bien il s’agit d’une clause de style, ce qui est à exclure, vu le contexte et les longues négociations qui ont abouti à cette rédaction, ou bien la référence à la charia islamique est une mise à un même niveau des références universalistes héritées des siècles des lumières des textes internationaux qui ont suivi et des références religieuses en matière des droits de l’homme. Dans ce cas, la référence à la charia constitue, pour les femmes tunisiennes, un recul inacceptable puisque la législation tunisienne, sur beaucoup de points, notamment le CSP, est ancrée dans une référence universaliste aux droits de l’homme. Ce texte va à l’encontre des acquis des tunisiennes obtenus par les lois internes et les conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Le renvoi explicite dans cette charte, quant aux droits des femmes, à la charia, est, nous semble-t-il, l’objectif majeur de ce texte. Certains diront que cette charte ne remet pas fondamentalement en cause les droits des femmes tunisiennes, puisqu’il y a un renvoi aux législations des pays, et qu’il est même précisé (art 43) qu’il « n’est pas permis d’interpréter ce pacte de manière à être en deçà des droits et libertés que protègent les lois internes des États membres… ». À cet argument, nous rétorquons que les législations des pays peuvent être changées à tout moment et que ceci n’est donc pas une garantie, et que les pactes internationaux ont été ratifiés par les pays arabes avec des réserves justement sur les droits des femmes. D’autres diront que cette charte n’a pas de caractère contraignant et qu’elle ne pèsera pas sur les enjeux, à ceux-là nous disons que beaucoup d’initiatives qui n’avaient aucun caractère contraignant ont fini par modifier les lois en vigueur dans les pays (cf l’Afghanistan, où certains ont gouverné sans constitution, en instituant la charia comme texte de référence). D’autres encore diront que l’on ne se réfère à la charia que pour les « discriminations positives », mais alors quelles discriminations positives trouve-t-on dans les textes de la charia ? Pourquoi a-t-on recours à la discrimination, fût-elle positive, si de tels textes garantissaient l’égalité homme/femme ? De plus, pour la religion musulmane, de quelle charia parle-t-on ? Celle qui autorise les châtiments corporels envers les femmes (la lapidation pour adultère, les crimes dit « d’honneur » non sanctionnés) ou celle qui rejoint le débat sur l’interdiction de conduite pour les femmes (souvenons-nous de la manifestation réprimée des femmes ayant enfreint l’interdiction de conduire) ou celle qui minorise les femmes (sous la tutelle du père, du mari, etc.), ou celle qui spolie les femmes dans la succession (la moitié d’une part d’un homme), ou celle qui voile les femmes par la force ? De quelle charia parle-t-on ? La charia ne garantit certainement pas l’égalité h/f, au contraire elle entérine la suprématie des hommes. Cette référence au religieux est un moyen d’occulter et de nier, l’universalité du principe d’égalité. La référence à la « discrimination positive » contenue dans la charia est plus symptomatique d’une crispation identitaire. Derrière la discrimination positive se cachent l’inégalité et la différence dans le traitement, que l’on veut recycler. En effet, nous vivons dans des sociétés où des concepts comme « inégalité » et « supériorité » ne sont plus acceptables tant les revendications égalitaires sont universelles. Toute la pirouette intellectuelle de cette charte a été de tenter de les dissoudre dans le concept de « discrimination positive » qui serait contenue, qui plus est, non seulement dans les textes internationaux mais dans les règles sacrées et la charia. En effet, la réalité est aujourd’hui binaire : d’une part, on assiste à un processus de modernisation rampante, imposée par l’économie et l’organisation sociale. D’autre part, ce processus cohabite, peu ou prou, avec une « salafisation », elle aussi rampante et qui tente d’occuper les lieux symboliques et politiques tout en essayant de maintenir à tout prix le fondamental : la structure archaïque de la famille musulmane. Cette Charte a voulu s’inscrire dans cette double réalité et c’est aux dépens des droits des femmes que le « salafisme » impose ses restrictions. La séparation du pouvoir politique et religieux est aujourd’hui la norme de toutes les sociétés humaines, y compris dans une partie du monde arabo-musulman. Que cette conception ait vu le jour dans l’Europe des lumières ne signifie nullement une spécificité occidentale. Elle passe par l’instauration de l’égalité pour toutes et tous, en changeant profondément le cadre juridique de la famille et le statut des femmes. Le CSP tunisien a opéré, par un ensemble de lois symboliques (abrogation de la polygamie et de la répudiation, mariage civil,..) la mutation sociale la plus profonde et la plus féconde dans le Monde arabe post-colonial. Il a aboli les tribunaux religieux séculaires, et toute une panoplie d’horreurs que subissaient les femmes (polygamie, minorité à vie, répudiation, châtiments corporels…) et il a radicalement modifié la société tunisienne, pour avoir ainsi adopté l’égalité presque totale des sexes. La Tunisie ne peut que s’inscrire dans la continuité de cette démarche en attaquant le dispositif successoral imprégné de relent discriminatoire et archaïque. Il s’agit aujourd’hui de s’inspirer de cette démarche et non de la brader. Pourquoi la Tunisie ratifierait-elle ce texte ? Qu’apporte cette référence à la charia ? Il me semble qu’elle ébranle un édifice en touchant des symboles. L’introduction du religieux comme référence est une manière de contenter des alliés aujourd’hui. Une charte se doit d’améliorer les droits et non de les restreindre. Dans le monde arabe, le statut de la femme est la pierre angulaire de notre retard culturel et social. La réponse apportée par cette Charte est une régression. Les femmes dans nos pays participent peu au développement social et économique et elles sont souvent maintenues dans un statut de mineures intégrales. L’égalité pour l’écrasante majorité des femmes arabes n’est qu’un lointain mirage. La réponse à y apporter ne peut être la charia. On parle souvent dans le monde arabe du destin commun de notre nation. Cette communauté se cherche des chantiers pour se concrétiser. Cette Charte en serait un exemple. Pourquoi pas le chantier de l’émancipation des femmes ? Et pourquoi pas une « feuille de route » inspirée de Beijing + 10 où 130 pays ont siégé, y compris les pays arabes. Des constats ont été faits : - La féminisation de la pauvreté (ceci concerne tous les pays arabes) - L’augmentation des viols et des violences faites aux femmes dans les conflits armés (3 des conflits majeurs se passent dans nos régions : Palestine, Irak et Soudan). - L’augmentation de la traite des femmes (femmes afghanes et iraniennes qui subissent dans des pays du golfe, des séquestrations et des violences, des femmes venues d’ailleurs, travaillant en Arabie, au Liban et dans des pays du Golfe et sont traitées comme des esclaves sans droit). - La perpétuation de la violence envers les femmes : 1 femme sur 4 est victime de violence domestique (la charia l’autorise). - La féminisation de la migration et le cumul des discriminations subies par les migrantes : les Maghrébines en Europe, mais les Egyptiennes, les Philippines, et d’autres dans les pays du Golfe et en Arabie.. - Les femmes n’ont pas toujours accès à la propriété et au droit à l’héritage (la charia nous attribue la moitié de la part d’un homme) - Peu de pays disposent aujourd’hui de gouvernement paritaire (dans certains pays les femmes n’ont même pas le droit de vote !) - L’avortement est interdit dans des pays arabes, sans parler de la criminalisation de l’adultère… - L’inégalité des salaires et le chômage qui touche globalement plus les femmes que les hommes. - Quasi absence des femmes dans les postes de pouvoir décisionnels .. - Absence de données ventilées, d’études et recherches sexospécifiques et statistiques. Les femmes restent encore invisibles. Les pays arabes se distinguent par l’absence de données statistiques spécifiques par sexe demandées par l’ONU. Ce sont là des pistes, mais de quoi nous occuper quelques décennies. Car promouvoir l’égalité entre h/f comme la charte le prévoit, c’est d’abord remédier concrètement à ces discriminations. En 2005, le combat des femmes n’est plus seulement celui de l’égalité, mais aussi celui de la parité. Si la charte se veut formellement égalitaire, il lui manque une donnée fondamentale, celle d’être égalitaire envers les femmes, mais aussi une donnée non moindre, celle d’être paritaire. Nadia Châabane |