Collectif 20 ans barakat Ile de France

 

LES ALGERIENNES ET LE CODE DE LA FAMILLE : 20 ANS, BARAKA ! Par Noura Borsali

Réalité magazine 4 mars 2004
 

Dans l’histoire du Maghreb et de l’ensemble du Monde arabe, le rôle actif joué par les femmes algériennes dans la lutte de libération nationale a marqué d’un sceau les annales de la mémoire collective. Parmi toutes ces figures qui ont participé à la résistance urbaine ou aux batailles dans les maquis, on pourrait citer Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Djamila Bouazza, Hassiba Ben Bouali… torturées, emprisonnées et condamnées à de lourdes peines. Celles que les combattants appelaient “ nos sœurs ” se sont senties quelque peu trahies à l’aube de l’indépendance quand les décideurs politiques de la jeune Algérie ont remisé au second plan la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour les Moudjahidates, l’heure devait être pourtant à la reconnaissance de leur rôle, égal à celui des hommes dans “ une société libre de l’Algérie révolutionnaire ”. L’élaboration d’une loi relative aux rapports familiaux ne s’est pas faite sans difficultés car le Code de la famille (loi no 84-11), qui est toujours en vigueur aujourd’hui, ne fut adopté par l’Assemblée nationale populaire (ANP) sous un régime à parti unique, le 9 juin 1984, qu’après de nombreux projets avortés en 1966, en 1973 et en 1981. Le Code de la famille de 1984, inspiré de la chariaâ, comporte 223 articles répartis en quatre livres, qui traitent respectivement du mariage et de sa dissolution, de la représentation légale, des successions et enfin des dispositions testamentaires, legs, donations, waqfs. Ce code est, depuis son adoption, l’objet de grandes controverses. Tandis que les formations islamistes tiennent à son maintien et à sa stricte application, les associations féministes ainsi que quelques partis politiques réclament sa réforme, voire son abrogation pure et simple à cause de discriminations qui maintiennent les Algériennes dans un statut de “ mineure à vie ” ne reflétant aucunement l’évolution de la société algérienne et étant en contradiction flagrante avec l’article 29 de la Constitution algérienne qui proclame l’égalité des sexes. Pour ne citer que quelques exemples, on reproche à cette loi d’instituer la polygamie (article 8) et la répudiation, d’établir une hiérarchie dans les rapports dans le couple en imposant le mari comme chef de famille à qui “ l’épouse est tenue d’obéir et d’accorder des égards ”, ainsi qu’aux parents et aux proches de ce dernier (article 39), de ne pas garantir à la femme divorcée-ainsi qu’à ses enfants dont elle a la garde—le droit au domicile conjugal en privilégiant la solution du retour chez son tuteur (article 52), de lier la conclusion du mariage au consentement de son tuteur matrimonial (article 11), d’interdire à la Musulmane de se marier avec un non-musulman (article 31) etc… Des associations de femmes, qui ont connu, en 1989, un foisonnement sans précédent après la libéralisation de la vie politique en Algérie à la suite des évènements douloureux d’octobre 1988, n’ont eu de cesse, durant la dernière décennie, d’attirer l’attention des pouvoirs publics non seulement sur cette “ injustice historique ” mais également sur la question des violences perpétrées à l’encontre des femmes par des “ extrémistes ” et plus tard par les terroristes. Les femmes islamistes algériennes, en organisant, de leur côte, une riposte populaire dans les rues d’Alger en 1990, ont tenu à exprimer leur opposition à toute réforme de ce texte, élaboré dans le respect des préceptes charaïques. La question des droits des femmes divise désormais la société en deux camps difficilement conciliables. Depuis l’accession de Bouteflika au pouvoir en 1999, la question de la réforme du code algérien de la famille est re-posée avec acuité. Une journaliste du quotidien algérien Le Matin écrira en novembre 2003 : “ Le roi Mohamed VI vient d’annoncer la réforme du Code de la famille, avec de nouveaux droits pour la femme marocaine (…). La situation de la femme algérienne étant semblable, je demande alors : à quand la fin de ce déni de droit ? A quand l’affranchissement et le recouvrement de notre dignité ? ” Le Président Bouteflika, en intégrant, en 2002, dans le gouvernement cinq femmes ministres dont la féministe Khalida Toumi (Messaoudi), en nommant des femmes ambassadrices, à la tête de quelques wilayas ou à des postes importants dans l’Administration, tente de signifier aux Algériennes qu’il soutient en quelque sorte leur cause. Mais ses compatriotes regroupées dans le collectif “ 20 ans, baraka ! ” (“ 20 ans ça suffit ! ”) voudraient aller de l’avant et obtenir que le Code de la famille soit totalement abrogé et remplacé par des lois civiques qui consacrent l’égalité entre les Algériens et les Algériennes. De nombreux débats auxquels ont participé des magistrats et des personnalités religieuses ont eu lieu et permis de relever “ les incohérences et les contradictions d’un texte de loi qui est loin d’assurer “ la cohésion familiale ” et d’appeler à sa réforme “ qui est obligatoire en raison des nouvelles mutations de la société algérienne ”, note El Watan, le 25 janvier 2003, dans un article intitulé “ Bouteflika tranchera au printemps ”, rendant compte d’une journée de réflexion sur le Code de la famille dont les recommandations auraient été soumises au Président de la République le 31 mars dernier. Et le quotidien d’ajouter : “ Il pourrait, selon certaines indiscrétions, promulguer la loi par ordonnance ”. Rien de cela ne s’est passé. Le président algérien a néanmoins installé, en novembre dernier, une commission interministérielle chargée de la révision de ce code. “ Merci au roi du Maroc ”, a alors titré un quotidien algérien. Pour de nombreux observateurs, cette décision, intervenant à quelques mois du scrutin présidentiel d’avril 2004, “ ressemble plutôt à une simple diversion ” ou à une “ opération électoraliste ” ou encore à “ un non-événement ”, d’autant que dans la coalition présidentielle autour de Bouteflika figurent les islamistes de Djaballah, qui comptent se mobiliser “ face à cette agression occidentale qui menace notre société ”. Aussi le pouvoir ne pense-t-il qu’à une simple révision des articles les plus discriminatoires sans songer aucunement à une quelconque abrogation comme le réclament les ONG de femmes et des partis politiques laïques. Cette initiative pourrait susciter l’adhésion des islamistes “ modérés ”, membres de la coalition gouvernementale et présents au Parlement. Mais de nombreuses féministes demeurent pessimistes et ne partagent pas l’optimisme de Khalida Toumi, actuellement ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, qui pense que “ le Code de la famille n’atteindra pas ses vingt ans en avril 2004 ”. Et pour preuve, dit le camp des sceptiques, les promesses non tenues de l’ex-premier ministre Ali Benflis qui a engagé, en 1996, autour du Code, tout un processus de réflexion auquel ont participé toutes les tendances, y compris les islamistes, mais qui est resté sans lendemain. Ou encore les célèbres propos de l’actuel président en réponse aux attentes des associations, un 8 mars 2000 : “ Vous avez plus de droits que les Européennes ”. “ La Tunisie a déjà un statut personnel égalitaire sauf en ce qui concerne l’héritage ; le Maroc remet en question ses lois inégalitaires entre femmes et hommes ; pourquoi l’Algérie resterait-elle à la traîne ? ”, s’indigne une féministe algérienne. En ce 8 mars, journée internationale de la femme, l’Algérie rendra-t-elle enfin justice à ses femmes ?
 

ALGERIE : ENFIN… LA REFORME DU CODE DE LA FAMILLE !             Par Noura Borsali

Réalité magazine 26 août 2004


Le mercredi 18 août dernier, un évènement a eu lieu en Algérie : l’adoption par le Conseil du gouvernement de l’avant-projet d’amendement du Code de la Famille. Rappelons que la loi n°84-11 portant Code de la Famille a été promulguée par l’APN (Assemblée Populaire Nationale), sous la présidence de Rabah Bitat, le 9 juin 1984, après quelques projets qui n’ont jamais vu le jour en dépit de leur existence, compte tenu d’une part des positions inconciliables quant à la question du fondement du texte législatif (Code civil ou référent religieux), et d’autre part de la forte mobilisation des Algériennes contre ce qu’elles considèrent comme une “ trahison des aspirations de l’indépendance ”. En effet, l’Algérie est, parmi les trois pays du Maghreb, celui qui marque un retard certain quant à la question des droits des femmes. Un paradoxe d’autant plus frappant que l’Algérie peut s’enorgueillir de la lutte légendaire de ses femmes pour la libération de leur pays, pour la démocratie et l’égalité des sexes et contre le terrorisme. Depuis l’indépendance et jusqu’en 1984, le pouvoir politique prépare des projets mais hésite à les promulguer. Ainsi en est-il du premier projet (1963-1964) élaboré par des commissions juridiques réunissant des personnalités fort disparates : tandis que certains, forts de la Constitution algérienne, prônaient une égalité absolue entre les hommes et les femmes, d’autres parmi les Cheikhs, défendaient l’application “ des principes fondamentaux du droit tels qu’ils sont établis par le Coran et le consensus des docteurs ”, soutenus, en cela, par le ministre de la justice de l’époque, Hadj Smain qui déclara, le 2 mars 1964, lors de l’installation de la cour suprême à Alger, que “ les commissions qui étudient le code ne sauraient perdre de vue que l’Islam est la religion de l’Etat ” (cité par Maurice Borrmans, “ Statut personnel et Famille au Maghreb, de 1940 à nos jours ”). Les points litigieux firent obstacle et ce code, en dépit des nombreuses ébauches qu’il connut, ne vit jamais le jour. Un deuxième projet annoncé par El Moudjahid , en février 1966, à la suite d’un séminaire présidé par Houari Boumediène, président du Conseil de la Révolution qui, le 8 mars de la même année, y a fait allusion en affirmant que “(…) le code qui est appelé à apparaître est celui de la préservation du droit de la femme et de la famille algérienne ”. Le texte a bel et bien existé puisqu’il a été reproduit intégralement par Fadéla Mrabet dans son ouvrage “ Les Algériennes… ”(1967), mais sans voir le jour, compte tenu des mêmes obstacles. En 1976, une rumeur a circulé à propos d’une première mouture contre laquelle se sont mobilisées, lors d’un rassemblement réprimé devant l’APN, des Algériennes dont des moudjahidate qui ont interpellé le Président de la République, Chadli Bendjedid, pour l’annulation de ce texte. Le projet de loi fut retiré puis discuté et adopté trois années plus tard en juin 1984. “ Les militantes et toute l’opinion s’étaient indignées des discussions des députés sur la longueur du bâton qui devait flageller les femmes pour les amener à la soumission ”, rapporte un journaliste d’ El Watan ”. Le Code de la Famille, promulgué enfin en 1984, est jusqu’à ce jour contesté. Pour les associations de défense des droits des femmes et d’autres composantes de la Société civile, il présente les femmes comme des “ mineures à vie ” et est appelé à être soit abrogé, soit amendé, compte tenu du fait qu’il est en contradiction avec l’article 29 de la Constitution algérienne qui reconnaît le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Il se traduit, en effet, par les discriminations suivantes: l’obligation pour toute femme d’avoir un tuteur lors du mariage (article 11), l’obéissance que doit accorder la femme à son époux en tant que chef de famille (article 39), la reconnaissance de la polygamie (article 8), l’attribution automatique du logement au père lors du divorce des parents, l’autorisation parentale strictement attribuée au père et refusée à la mère (article 87), l’impossibilité pour une musulmane d’épouser un non- musulman (article 31) et l’inégalité de l’héritage entre les hommes et les femmes (articles 126, 183). Cette loi, renchérit le Collectif, s’ajoute à d’autres dispositions inégalitaires de l’arsenal législatif algérien, dont le Code de la Nationalité selon lequel une femme algérienne ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants, la transmission ne se faisant que par filiation paternelle ” (Collectif “ 20 ans, Barakat ”, ça suffit). Les Algériennes n’ont eu de cesse, depuis sa promulgation et surtout depuis 1989, de mener des actions d’envergure en faveur de son amendement. Le 8 mars 1997, quatorze associations ont pris l’initiative d’une pétition d’un million de signatures autour de 22 amendements élaborés dans un atelier de Rabéa Mechernène, ministre de la solidarité de l’époque. Le 8 mars 2003, le Collectif “ 20 ans, Barakat ” a lancé une campagne en vue de sa révision et une commission dans ce sens a été mise en place par le ministre de la justice de l’époque, Tayeb Belaïz, mais sans que le projet voie le jour. Toutefois, la question revient régulièrement à chaque échéance électorale ainsi qu’à l’occasion de la célébration du 8 mars, mais sans suite. Le Président Bouteflika a pourtant, dans son discours d’investiture, affirmé que, sans une reconnaissance des droits des femmes, il ne saurait y avoir de démocratie et par ailleurs que l’Algérie ne peut être à la traîne de ses voisins. Le 26 octobre 2003, un mois après l’annonce de la réforme de la Moudawana marocaine, le chef du gouvernement a créé une commission chargée de la révision du Code de la Famille. L’avant-projet d’amendement adopté par le Conseil du gouvernement le 18 août dernier et proposé par le département de Belaïz, divise déjà la classe politique ainsi que la majorité présidentielle dont fait partie le Mouvement de la société de la paix (MSP, islamiste) qui, selon Le Quotidien d’Oran ” (21/08/2004), “ réfute en bloc la mouture de ce code ” parce que « le projet n’a pas eu le débat qu’il mérite, qu’il ne respecte pas le “référent religieux ” et qu’il ne convient pas aux traditions algériennes ». Selon la même source, le FLN, quant à lui, “ réfute les dispositions allant à contre-courant du texte sacré ”. Pour les autres parties prônant l’égalité entre les hommes et les femmes, “ cette mouture est en-deçà des espérances ” et quand bien même elle contiendrait des progrès (comme le respect mutuel, la tutelle parentale, la majorité de la femme à 19 ans lui permettant de se marier sans tutelle, l’octroi du logement en cas de divorce...) “ il n’en demeurerait pas moins qu’elle fait de grandes concessions à l’islamo-conservatisme, en maintenant à titre d’exemple la polygamie ”. Une controverse qui annonce une rentrée chaude en Algérie. Le défi égalitaire réhabilitant réellement les Algériennes dans leurs droits sera-t-il relevé par le Président Bouteflika et son gouvernement à l’occasion du prochain cinquantenaire de la Révolution du 1er novembre 1954 ?
 

 

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