Le Collectif "20 ans barakat" |
El Watan , dossier du 9 juin 2004 Faux-fuyant Vingt
ans barakat ! C'est plus qu'un cri de révolte, de rejet. C'est toute la détermination
d'hommes et de femmes qui, le 8 mars 2003, ont, dans un appel public, décidé
d'engager une campagne de sensibilisation et d'information —qui entre dans une
longue tradition de lutte — pour montrer que le code de la famille, parce
qu'inique, injuste, en décalage et antinomique par rapport aux réalités
sociales, doit être abrogé. Non, ce texte de loi promulgué le 9 juin 1984 ne
protège pas la cellule familiale et encore moins les femmes qui en sont le
second pilier. Prétendre que son abrogation et son remplacement par une loi
civile en harmonie avec les principes proclamés par la Constitution algérienne
— dont la non-discrimination de sexe devant la loi — n'est pas possible,
c'est un faux-fuyant. «Le poids des traditions et des mentalités» n'est pas
un argument convaincant. Pourquoi les dirigeants de l'Etat et le premier d'entre
eux, le président de la République sont-ils aussi frileux pour abroger une loi
que tout le monde s'accorde à dire, faits à l'appui, qu'elle doit être
totalement remodelée ? D'autres responsables politiques de pays musulmans, dont
l'Islam est également religion de l'Etat, ont tranché le problème dans le
sens de l'inscription de leurs sociétés dans la voie de la modernité, du
progrès et aussi de l'équité : la Tunisie, il y a cinquante ans, et le Maroc,
il y a un an. Nos deux voisins immédiats. Et pourtant, le poids des traditions
n'est pas moins lourd au Maroc, au contraire. Les dirigeants algériens
n'ont-ils pas annoncé à qui veut les entendre que l'Algérie est engagée dans
la voie de la réforme et de la démocratie ? Ou alors cet engagement ne
concerne-t-il pas le statut des personnes et le code de la famille, pièce maîtresse
de tout édifice démocratique ? L'Algérie, qui a ratifié la Convention sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes le 22 mai 1996,
figure parmi les 56 pays qui n'ont encore jamais présenté de rapport sur les
dispositions prises pour la mise en œuvre de cette convention. Elle est aussi
l'un des pays qui ont émis le plus de réserves sur cette convention onusienne.
Une fois de plus, une société juste, moderne et démocratique ne peut se
construire sur le déni des droits de la moitié de la communauté nationale. Il
est plus que temps de jeter au rebut ce code de l'infamie, comme l'avait si
justement qualifié le défunt Mohamed Boudiaf, un des pères fondateurs de la Révolution
de Novembre. Et pour reprendre avec celles et ceux qui se battent pour la démocratie
réelle depuis de longues années en Algérie et hors du pays — parce que le
code de la famille s'applique aux Algériens même quand ils résident à l'étranger,
en France en l'occurrence — «Vingt ans de domination légale imposée par
l'Etat algérien ça suffit». Vingt ans barakat. ******** IL
Y A 20 ANS LE CODE DE LA FAMILLE ÉTAIT VOTÉ
Un texte infamant et dégradantPar
Djamila Kourta Les
20 ans du code de la famille De
tous les textes législatifs, seule la loi n° 84 - 11 du 9 juin 1984 portant
sur le code de la famille dénie la pleine égalité entre les sexes, notamment
en matière de mariage, de divorce ou de tutelle des enfants. Basé sur la
charia et les fondements théologiques, le code de la famille est en
contradiction avec l’article 29 de la Constitution qui reconnaît l’égalité
entre les femmes et les hommes. La contestation et la mobilisation des femmes ne
se font pas attendre, des groupes de femmes de certains partis clandestins
(PAGS, OST), d’organisations de masse, étudiantes et universitaires parrainées
par des moudjahidate ont crié au scandale. PARCOUS MILITANTElles
n’ont pas cessé de militer depuis pour son amendement ou son abrogation. La
revendication est portée par des associations féminines, créées après
l’avènement du multipartisme en 1989. La
contestation de ce texte de loi a commencé en 1981 lorsqu’un projet de code
du statut personnel allait être débattu à l’APN. Une rumeur autour d’une
première mouture avait circulé en 1976 pour être concrétisée en 1981. Une
forte mobilisation des femmes a poussé les pouvoirs publics à se retirer. Elle
a regroupé Fettouma Ouzeguène, Akila Ouared, Zhor Zerari, Zohra Drif, avocate
et sénatrice, Louiza Hanoune, des universitaires, des enseignantes. Un
mouvement de riposte a été organisé devant l’APN. Certaines manifestantes
ont été interpellées. Les moudjahidate ont à cet effet interpellé le président
de la République afin d’user de son pouvoir pour annuler ce texte de loi. «Les
moudjahidate, les maquisardes qui avaient participé à la guerre de Libération
nationale protestaient de leur côté et finirent par soutenir notre mouvement.
Ce soutien a, sans doute, été décisif dans le recul des autorités, car elles
mettaient le régime non seulement face à ses contradictions, mais surtout face
à ses trahisons des aspirations de l’Indépendance. Elles étaient révoltées
et nos revendications étaient aussi les leurs, mais en plus, elles nous protégeaient
par leur seule présence. Je
crois que c’est grâce à elles que la police n’a pas reçu l’ordre de
nous arrêter. Même si quelques-unes d’entre-nous ont été interpellées,
nous n’avons jamais été réprimées avec la violence qui avait suivi
d’autres mouvements, comme le Mouvement culturel berbère ou les
manifestations de jeunes en 1985 et 1986»,
relate Louiza Hanoune, une des animatrices du mouvement de femmes pour
l’abrogation du code de la famille, dans un entretien accordé à la
journaliste Ghania Mouffok et publié sous forme d’ouvrage, Louiza Hanoune,
Une autre voix pour l’Algérie, aux éditions La Découverte. Le
projet de loi a été retiré puis discuté et adopté trois années après, en
juin 1984. La
révolte des militantes est montée d’un cran. Le journal El Moudjahid a
fait état de l’information ainsi que des débats tenus autour de ce texte. «Les
militantes et toute l’opinion s’étaient indignées des discussions des députés
sur la longueur du bâton qui devait flageller les femmes pour les amener à la
soumission», se rappelle une militante. Pour
Louiza Hanoune, si les autorités ont réussi à faire adopter ce texte, c’est
parce que le mouvement s’était un peu essoufflé et le Comité de femmes
constitué suite au rassemblement continuait à réfléchir aux moyens de
mobilisation. «Nous savions qu’un autre texte de loi était en train de se
préparer, avec la collaboration active des habituelles femme alibis, ces femmes
qui ont fait carrière dans les appareils d’un régime grand distributeur de
privilèges, un régime qui avait déclaré la guerre à la moitié de la
population avant de l’étendre à toute la société», ajoute Louiza
Hanoune en faisant allusion à la répression de tous les mouvements en 1982. Elle
soutient que le régime algérien a profité des arrestations pour faire passer
le code de la famille. Les
militantes s’étaient mobilisées pour la libération des détenus politique.
La revendication est demeuré l’une des préoccupations des femmes militantes
qui ont constitué des associations en 1989. Elles sont pour la plupart issues
du mouvement de la contestation du code de la famille. POURQUOI
UN 8 MARS ? Une
rencontre nationale les a réunies en novembre 1989. Depuis, de nombreuses
actions ont été menées dans le cadre de collectifs d’association ou au
niveau des différentes organisations. La
date du 8 Mars, Journée internationale de la femme, a de tout temps été célébrée
en Algérie dans un cadre de contestation et pour exiger l’abrogation de ce
code. Des actions d’envergure ont été menées depuis 1990 malgré la menace
terroriste. Des rassemblements, des marches, des publications et des pétitions
ont été initiés. Le collectif Maghreb Egalité a initié la proposition des
cents mesures. En 1996, des amendements ont été proposés par le gouvernements
dans le cadre d’un séminaire ayant pour thème «La protection de la femme »,
organisé par le ministère de la Solidarité en 1996. Des divergences sont
apparues et plusieurs associations ont rejeté cette initiative. Une
lettre ouverte des associations de femmes a été adressée au président de la
République demandant la ratification sans réserve de la convention de
Copenhague sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes et la déclaration de l’anticonstitutionnalité du code de la
famille. Le 8 mars 1997, 14 associations ont initié une pétition d’un
million de signatures autour des 22 amendements émanant de l’atelier de Rabéa
Mechernène, ministre de la Solidarité de l’époque. De
1992 à 2002, la revendication d’abroger les dispositions discriminatoires et
les remplacer par des lois égalitaires a été brandie à chaque fois que
l’occasion se présentait. C’est ainsi qu’un collectif d’associations de
femmes a lancé à l’occasion du 8 Mars 2003 la campagne «Code de la famille,
20 ans barakat». L’amendement
ou la révision du code de la famille ont figuré dans les programmes des différents
gouvernements à l’approche de chaque échéance électorale. A ce jour,
aucune modification n’a été apportée. La commission installée par le
ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, travaille toujours sur le dossier, mais
la décision finale revient au président de la République, lequel avait déclaré
lors de son discours d’investiture qu’on ne peut aspirer à une démocratie
sans une réhabilitation effective de la femme dans ses droits. D.
K. **********
El
Watan , 9 juin 04 C ZOHRA
DRIF. Avocate-sénatrice Décalage par
rapport la société
Propos recueillis parNabila
Amir Comment
les pouvoirs publics ont pensé à mettre en place le code de la famille et
comment avez-vous pris connaissance du projet ?
Je
suis une avocate de terrain depuis 1967. J’ai eu à traiter des problèmes qui
concernent la famille, à savoir le divorce, la garde des enfants... Nous avons
vécu et connu les véritables problèmes auxquels était confrontée la famille
algérienne. A
l’époque, les tribunaux traitaient de ces affaires en procédant de la même
manière qu’à l’époque de l’occupation coloniale. Le cadi gérait ces
problèmes en se basant sur la chari’a. De 1962 à 1984, les tribunaux spécialisés
en matière de statut personnel continuaient à régler ces problèmes sur la
base des préceptes coraniques et de la charia, mais l’évolution de la société
algérienne durant ces années a donné lieu à d’autres aspects que les
tribunaux ignoraient, mais qu’ils devaient impérativement régler pour préserver
les intérêts des parties (famille, couple, enfants). Une
solution a été trouvée en usant de la jurisprudence (jugement des tribunaux,
de la cour d’appel) et de l’interprétation juridique de la charia. Parmi
les nouveaux problèmes qui ont surgi, du fait de l’évolution de la société,
et sur lesquels devaient statuer les magistrats, ceux relatifs au domicile
conjugal et à la garde des enfants. Auparavant, lorsqu’un couple divorçait,
la femme ne se retrouvait généralement pas dans la rue. Elle retournait,
accompagné de ses enfants, chez ses parents. Après l’indépendance, les
choses ont changé, car, avec le divorce, le problème du domicile s’est posé
avec acuité. Sur ce point, les concernés ont fait un effort (idjtihad) et
ils ont trouvé une issue. Ayant
pris connaissance de cette faille, le législateur a introduit, dans la discrétion
totale, un article dans le Code civil qui stipulait que dans les cas de divorce
le juge avait le pouvoir d’apprécier, selon les cas, qui des deux parties
devait bénéficier du domicile conjugal. En réalité, il y avait une certaine
souplesse dans le traitement de cette question. Petit à petit, les choses
commençaient à prendre d’autres dimensions. Sur
la question du statut personnel, les pouvoirs publics — compte tenu de notre réalité
sociologique, les traditions et les verrous — avaient choisi de procéder par
étape et sans tapage pour le règlement de cette question. Dans les années
1980, les responsables de l’époque ont décidé, au regard du vide juridique
existant sur ce plan (relation
familiale), de mettre en place un projet de code de la famille. C’est
à ce moment que les femmes sont sorties pour manifester leur mécontentement… La
protestation a été déclenchée par les praticiens du droit, notamment les
avocats. Lorsque
nous avons appris qu’un code de la famille était en préparation et à l’étude
au niveau du ministère de la Justice, nous avons déployé des efforts pour
nous le procurer. En constatant qu’il était en régression par rapport à
l’évolution de la société, nous avons décidé alors d’alerter
l’opinion publique,
notamment les universitaires, afin d’élaborer ensemble un contre-projet. Une
fois réalisé, nous l’avons déposé et défendu au niveau de la commission
juridique de l’APN, mais rien n’a changé puisque, quelques jours après, le
texte initial était programmé pour le vote. Nous
avons alors décidé d’occuper la rue pour manifester notre colère et notre désaccord
avec le projet. Bien plus tard, nous avons tenu des réunions avec les femmes du
FLN, du RND et du MSP. Ces
dernières ont adhéré à nos actions et ont approuvé notre démarche. Elles
étaient chargées de sensibiliser les autres militantes. Donc même le courant
conservateur islamiste a rejeté le code de la
famille… Quels
sont exactement les points noirs du code de la famille ? Il
existe une série d’articles qui ont des conséquences néfastes sur la société
dans son ensemble. Il s’agit,entre autres, de l’instauration d’un tuteur
pour la validation du mariage, le domicile conjugal qui doit revenir de droit à
l’époux, le problème du partage de la tutelle parentale en cas de divorce. A
votre avis et après vingt ans de combat, pensez-vous que le président de la République
tiendra sa promesse quant à la révision du code de la famille? Le
président de la République s’est engagé solennellement pour la révision du
code de la famille. En ce qui me concerne, la question du code de la famille est
dépassée. Notre société a tellement évolué que l’égalité entre
l’homme et la femme ne doit pas normalement être à l’ordre du jour. Trouvez-vous
normal que dans notre pays on évoque toujours les conséquences de ce code, et
ce, au moment où des femmes occupent des postes-clés dans les institutions et
que nous avions même une femme qui s’est présentée à l’élection présidentielle
du 8 avril ? Notre
société a profondément changé, et les familles les plus conservatrices se
sont fondées dans ces mutations. J’estime que la société algérienne est en
avance sur les hommes politiques. Cet éveil a permis aux Algériens, particulièrement aux femmes, de revendiquer le principe de l’égalité entre l’homme et la femme sans aucune distinction, et ce, comme le consacre la Constitution de 1962. L’engagement des femmes lors des élections reflète cette exigence. Aujourd'hui, il faut impérativement revoir ce code afin de le mettre en adéquation avec la Constitution. N.A. ********* El
Watan - Mercredi 9
juin 2004 - p7 CES
FEMMES RÉPUDIÉES ET CHASSÉES DU DOMICILE CONJUGAL ÿMaman,
pourquoi n’avons nous pas de maison ?¨ ·
Zohra, Aïcha,
Djamila, Fouzia et tant d’autres sont ces mères, parfaites victimes du code
de la famille. Répudiées et chassées du domicile conjugal par leurs époux,
elles se retrouvent livrées à la mendicité pour nourrir leurs enfants qui les
accompagnent. Chacune est une
histoire dramatique... Derrière
ses grands yeux verts se cache un regard terriblement triste. Le visage ridé,
surmonté d’un foulard cachant totalement ses cheveux et serrant dans ses bras
son fils, âgé de 16 ans, Zohra est cette femme à laquelle les passants et les
riverains de la rue Hassiba Benbouali (à Alger) se sont habitués. Une
cage d’escalier comme gîte, du papier carton comme matelas et des couvertures
sales, Zohra a passé plus de six longues années dans la rue. Elle
refuse de nous décliner son identité et son lieu d’origine. A trente trois
ans, elle donne déjà l’air d’une femme qui supporte le poids d’un
demi-siècle. A peine l’adolescence franchie, ses parents l’ont mariée à
un homme de l’âge de son père. Alors que son fils avait bouclé ses dix années,
son mari l’obligea à vivre avec sa deuxième épouse. Zohra ne supporte plus
la vie infernale qu’elle endure avec celle-ci. Le mari décide alors de
divorcer de Zohra, contrainte de quitter le domicile conjugal. Ses parents
conditionnent son retour à la maison familiale par l’abandon de son fils.
Elle refuse et se retrouve donc errant dans les rues d’Alger. «J’en
souffre terriblement. Si je n’ai pas mis fin à ma vie, c’est uniquement
parce que je ne veux pas laisser mon fils seul dans la rue. Je suis devenue une
loque humaine. Si vous m’aviez vue lorsque j’étais jeune vous ne me reconnaîtrez
pas», nous
a-t-elle lancé en larmes, exhibant des photos de jeunesse. Zohra était
effectivement exceptionnellement belle. Elle
regarde tendrement son fils qui ne la quitte pas d’une semelle et rétorque : «Il
a grandi dans la rue. Il n’a jamais eu des journées de joie comme les enfants
de son âge. Il me fait beaucoup de peine, parce que souvent lorsque mon moral
atteint son plus bas niveau je ne me rends pas compte et je me comporte
violemment avec lui. Comme si c’était lui le fautif. Il pleure pendant des
heures puis il me pose tout le temps cette question qui me donne froid au dos :
maman, pourquoi nous n’avons pas de maison ?» Zohra
ne peut pas travailler parce qu’elle n’a pas de toit. Elle ne peut avoir un
toit si elle n’a pas de revenu. Quelques
centaines de mètres plus loin, Djamila, une quarantaine d’années, assise à
même le sol, tenant sur ses genoux Samia, sa petite fille de 5 ans. Cela fait
une année et demie qu’elle vient régulièrement s’adosser au mur de l’hôtel
Essafir (Aletti) pour demander l’aumone. Son fils Abdelkader vient de boucler
ses 8 ans. Après les cours, il mendie lui aussi dans les rues d’Alger. «Il
ne veut pas rester avec moi. Mais, chaque soir nous nous regroupons dans notre
baraque à Belcourt. J’ai très peur pour l’avenir de mes enfants. Si je
trouve un travail, ils peuvent être sauvés…», nous dit-elle. Son
histoire ressemble à celle de Zohra. Son mari a décidé de prendre une deuxième
épouse sans qu’elle le sache. «Il commençait à être violent et
trouvait le moindre prétexte pour me battre. J’ai demandé le divorce. Il a
vite sauté sur l’occasion en me chassant de la maison. Le juge l’a condamné
à verser une pension alimentaire pour ses enfants, mais je n’ai jamais vu son
argent (...), la rue a été ma seule échappatoire. Je mendie la journée
et le soir, je dors dans les cages d’escaliers ou à proximité du
commissariat centrale pour ne pas être agressée. Ma famille, qui est à
Annaba, refuse de me prendre en charge avec mes deux enfants. Mes parents
veulent que je laisse les enfants chez leur père avec la marâtre. Ça jamais.
Je préfère mourir que de les voir souffrir avec leur marâtre…», nous
a-t-elle déclaré avec une voix entrecoupée de sanglots. Sa fille s’accroche
à son cou et lui dit tendrement : «S’il te plaît maman ne pleure pas.» J' AI
PEUR DE MOURIR ET DE LAISSER MES ENFANTS DANS LA RUE¨
Fouzia
a trois enfants. Elle demande l’aumône la journée pour payer la chambre
d’un hôtel situé à La Casbah où elle est hébergée depuis des années
avec ses deux enfants de 13 et 17 ans. Sa fille aînée, 19 ans, a été placée
chez sa tante. Elle refait son bac pour la deuxième fois. «Je n’ai pas
trouvé de travail. Lorsque mon mari a pris une deuxième épouse, nous ne
pouvions vivre à six dans un deux pièces. Mes enfants souffraient de cette
situation. Il conditionnait le divorce par l’abandon du domicile conjugal.
J’ai fini par accepter. Depuis, je vis de l’aumône. Mon mari le sait, mais
il n’a jamais cherché après ses enfants. Je vis comme un animal. Je suis à
la merci de tous les hommes qui me donnent quelques sous. Le regard méchant des
gens me rend malade et me pousse souvent à faire des choses que je regrette. Ce
sont parfois mes enfants qui encaissent. Si j’avais les moyens, je les
aiderais à partir de ce pays où l’injustice règne en maîtresse..»
Sous les arcades du boulevard Amirouche, Aïcha entourée de quatre
enfants âgés entre 2 et 8 ans, vit dans ces conditions depuis deux ans, l’âge
de son cadet. Elle était enceinte de celui-ci lorsqu’elle avait été chassée
par son mari qui avait deux autres épouses plus jeunes qu’elle à la maison.
A peine quarante ans, elle a 8 enfants, dont quatre sont encore avec leur père.
«Je ne sais pas quelle vie ils mènent avec leurs marâtres. Quand j’étais
là-bas, pour n’importe quel prétexte ils étaient tout le temps battus par
leur père ou l’une des deux marâtres. Je ne pouvais plus supporter de voir
les autre enfants, plus jeunes continuer à subir cette violence. Je les ai pris
et j’ai quitté Oran, pour venir vivre avec l’aide des âmes charitables. Je
sais que la rue est le pire des dangers, mais que voulez
vous je n’ai pas eu d’autres solutions. Ces
témoignages ne reflètent en fait qu’une partie infime des drames que vivent
ces milliers de mères chassées de leur domicile conjugal. Ces victimes
hanteront et continueront à hanter à tout jamais les esprits de ceux qui, un
certain 22 juin 1984, ont adopté les dispositions du code de la famille,
notamment celle qui permet à un mari de répudier son épouse et de la mettre
à la rue avec ses enfants, juste pour se remarier. Salima
Tlemçani ******** Violé, elle réclame
justice
Elle
entamera des démarches afin de faire bénéficier sa famille de l’allocation
réservée aux victimes du terrorisme. Elle
a épuisé tous les recours légaux, écrit au président de la République, au
ministre de la Justice, saisi des organisations de femmes. En vain. Depuis 1997,
F. T., qui préfère témoigner sous l'anonymat, se bat afin que justice
lui soit rendue. Afin que soit condamné celui qui a abusé d'elle sexuellement,
sous la menace d'une arme à feu. «Un membre de la garde républicaine» de
surcroît, accuse-t-elle. Elle fait partie des victimes du terrorisme. «Les
terroristes au moins sont des criminels, des hors-la-loi, mais un représentant
de l'Etat…», dénonce-t-elle. Tout se passe au mois de décembre 1997,
lorsque des terroristes tentent une incursion dans une petite ville de la
banlieue est d'Alger. Sous la panique, les habitants fuient leurs domiciles pour
aller se réfugier dans une
caserne. Parmi eux F. T. qui sauve avec elle son petit neveu. Dans
sa course folle, l'enfant finit par lui tomber des bras. Il s'en sortira avec
des ecchymoses au visage. Le lendemain matin, les habitants retourneront chez
eux. Orpheline, F.T. n'avait d'autre tuteur que son frère, mort au mois de mai
de la même année dans un attentat à la bombe, laissant derrière lui une
veuve et des enfants en bas âge. Elle entamera des démarches afin de faire bénéficier
sa famille de l'allocation réservée aux victimes du terrorisme. Le lendemain
de l'incursion, F.T. conduit son neveu au service maxillofaciale du CHU Mustapha
Bacha. «Un homme entre, puis me demande ce que je venais faire. Je lui
raconte naïvement toute mon histoire. Se présentant comme fonctionnaire de la
garde républicaine, il me propose ses services pour obtenir l'allocation réservée
aux familles victimes du terrorisme. Je lui ai fait confiance…», regrette-
t-elle. Il lui fixe un rendez-vous, le 20 décembre 1997, à la place des
Martyrs. Il l'invite alors ce jour-là dans un hôtel, lui faisant croire que la
personne qui peut intervenir pour elle s’y trouverait. Les choses vont vite :
sous la menace d'une arme à feu, elle soutient que le garde républicain l'a
violée. La
violence sexuelle dont a été victime F.T. est attestée par un certificat médical
délivré le même jour par le service de médecine légale du CHU Mustapha
Bacha. Les investigations menées par la gendarmerie nationale aboutiront à
l'interpellation du mis en cause. Niant les faits, celui-ci sera reconnu non
coupable par le tribunal d'Alger, un verdict contre lequel F. T. a fait appel. «Je
ne veux pas qu’il me prenne pour épouse afin de réparer sa faute, je ne
supporte pas de le regarder. Je me bats pour qu’on me rende justice»,
soutient-elle. Am. H. ********* La
campagne« 20 ans barakat »
La
campagne «Code de la famille, 20 ans barakat», initiée à l’occasion du 8
Mars 2003 et lancée officiellement le 11 mars de la même année suite à une
conférence de presse organisée par le collectif d’associations algériennes
à Alger, se veut aujourd’hui une des plus grandes actions menées pour
l’abrogation du code de la famille depuis sa promulgation en juin 1984.
Plusieurs actions et manifestations ont été organisées depuis son lancement
en Algérie et en France. L’initiative a pour objectif de mobiliser et
d’informer sur les méfaits du code de la famille. L’idée
de vulgariser le contenu de ce texte de loi a été retenue. Aussi est-il diffusé
sur le site «20 ans barakat», qui constitue un des outils pour mieux mener
cette campagne. L’insertion
de placards publicitaires dans les quotidiens nationaux a été la première
action concrétisée. Un concours pour la meilleure affiche a été lancé également,
et le premier prix est revenu à un étudiant de l’Ecole des Beaux-Arts à
Alger et qui a été primé à l’occasion de l’exposition organisée le 8
mars 2004. «Hormis les nominés, les autres candidats ont été dédommagés
pour le matériel utilisé durant la participation au concours. L’objectif de
cette affiche est de rendre par le trait et la couleur le vécu des femmes algériennes
au quotidien dans ses aspects discriminatoires sous-tendus par le code de la
famille», signale un membre du collectif. Un atelier d’écriture est également
initié avec des enfants aidés de leurs enseignants afin de faire connaître le
contenu du code de la famille et sensibiliser ces jeunes filles et garçons sur
les conséquences de ce texte. Comme il est également attendu la parution
d’une revue «20 ans Barakat», qui portera le nom d’une femme résistante.
«La revue sera un référent pour le mouvement féministe», soutient
une militante et ancienne moudjahida. Un CD intitulé Ya El Qadi a été
également produit en France et est sorti en novembre 2003. 28 chanteuses algériennes
installées en France ont pris part à cette œuvre. 6000 CD ont été vendus à
ce jour, et les fonds seront versés au collectif algérien pour poursuivre la
campagne. A défaut d’autorisation pour un rassemblement ou une manifestation
à Alger, le collectif d’associations algériennes a décidé de mener des
actions à la symbolique très forte à l’occasion de la vingtième année de
l’adoption du code de la famille par l’APN. Une déclaration sera rendue
publique. Djamila Kourta
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