Le Collectif "20 ans barakat"                  

 

El Watan , dossier du 9 juin 2004

Faux-fuyant

Par Nadjia Bouzeghrane

Vingt ans barakat ! C'est plus qu'un cri de révolte, de rejet. C'est toute la détermination d'hommes et de femmes qui, le 8 mars 2003, ont, dans un appel public, décidé d'engager une campagne de sensibilisation et d'information —qui entre dans une longue tradition de lutte — pour montrer que le code de la famille, parce qu'inique, injuste, en décalage et antinomique par rapport aux réalités sociales, doit être abrogé. Non, ce texte de loi promulgué le 9 juin 1984 ne protège pas la cellule familiale et encore moins les femmes qui en sont le second pilier. Prétendre que son abrogation et son remplacement par une loi civile en harmonie avec les principes proclamés par la Constitution algérienne — dont la non-discrimination de sexe devant la loi — n'est pas possible, c'est un faux-fuyant. «Le poids des traditions et des mentalités» n'est pas un argument convaincant. Pourquoi les dirigeants de l'Etat et le premier d'entre eux, le président de la République sont-ils aussi frileux pour abroger une loi que tout le monde s'accorde à dire, faits à l'appui, qu'elle doit être totalement remodelée ? D'autres responsables politiques de pays musulmans, dont l'Islam est également religion de l'Etat, ont tranché le problème dans le sens de l'inscription de leurs sociétés dans la voie de la modernité, du progrès et aussi de l'équité : la Tunisie, il y a cinquante ans, et le Maroc, il y a un an. Nos deux voisins immédiats. Et pourtant, le poids des traditions n'est pas moins lourd au Maroc, au contraire. Les dirigeants algériens n'ont-ils pas annoncé à qui veut les entendre que l'Algérie est engagée dans la voie de la réforme et de la démocratie ? Ou alors cet engagement ne concerne-t-il pas le statut des personnes et le code de la famille, pièce maîtresse de tout édifice démocratique ? L'Algérie, qui a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes le 22 mai 1996, figure parmi les 56 pays qui n'ont encore jamais présenté de rapport sur les dispositions prises pour la mise en œuvre de cette convention. Elle est aussi l'un des pays qui ont émis le plus de réserves sur cette convention onusienne. Une fois de plus, une société juste, moderne et démocratique ne peut se construire sur le déni des droits de la moitié de la communauté nationale. Il est plus que temps de jeter au rebut ce code de l'infamie, comme l'avait si justement qualifié le défunt Mohamed Boudiaf, un des pères fondateurs de la Révolution de Novembre. Et pour reprendre avec celles et ceux qui se battent pour la démocratie réelle depuis de longues années en Algérie et hors du pays — parce que le code de la famille s'applique aux Algériens même quand ils résident à l'étranger, en France en l'occurrence — «Vingt ans de domination légale imposée par l'Etat algérien ça suffit». Vingt ans barakat.

 ********

IL Y A 20 ANS LE CODE DE LA FAMILLE ÉTAIT VOTÉ

Un texte infamant et dégradant

Par Djamila Kourta

Les 20 ans du code de la famille

Le code de la famille a 20 ans. Les femmes algériennes subissent depuis deux décennies les dispositions discriminatoires de ce texte. Elles sont nombreuses aujourd’hui à errer en compagnie de leurs enfants et à affronter quotidiennement le côté obscur de la société. C’est le 9 juin 1984 que l’APN, sous la présidence de Rabah Bitat, a décidé d’octroyer à la femme algérienne un statut de mineure. Le contenu du texte a été tenu secret ainsi que son adoption.

De tous les textes législatifs, seule la loi n° 84 - 11 du 9 juin 1984 portant sur le code de la famille dénie la pleine égalité entre les sexes, notamment en matière de mariage, de divorce ou de tutelle des enfants. Basé sur la charia et les fondements théologiques, le code de la famille est en contradiction avec l’article 29 de la Constitution qui reconnaît l’égalité entre les femmes et les hommes. La contestation et la mobilisation des femmes ne se font pas attendre, des groupes de femmes de certains partis clandestins (PAGS, OST), d’organisations de masse, étudiantes et universitaires parrainées par des moudjahidate ont crié au scandale.

PARCOUS MILITANT

Elles n’ont pas cessé de militer depuis pour son amendement ou son abrogation.

La revendication est portée par des associations féminines, créées après l’avènement du multipartisme en 1989.

La contestation de ce texte de loi a commencé en 1981 lorsqu’un projet de code du statut personnel allait être débattu à l’APN. Une rumeur autour d’une première mouture avait circulé en 1976 pour être concrétisée en 1981. Une forte mobilisation des femmes a poussé les pouvoirs publics à se retirer. Elle a regroupé Fettouma Ouzeguène, Akila Ouared, Zhor Zerari, Zohra Drif, avocate et sénatrice, Louiza Hanoune, des universitaires, des enseignantes. Un mouvement de riposte a été organisé devant l’APN. Certaines manifestantes ont été interpellées. Les moudjahidate ont à cet effet interpellé le président de la République afin d’user de son pouvoir pour annuler ce texte de loi. «Les moudjahidate, les maquisardes qui avaient participé à la guerre de Libération nationale protestaient de leur côté et finirent par soutenir notre mouvement. Ce soutien a, sans doute, été décisif dans le recul des autorités, car elles mettaient le régime non seulement face à ses contradictions, mais surtout face à ses trahisons des aspirations de l’Indépendance. Elles étaient révoltées et nos revendications étaient aussi les leurs, mais en plus, elles nous protégeaient par leur seule présence.

Je crois que c’est grâce à elles que la police n’a pas reçu l’ordre de nous arrêter. Même si quelques-unes d’entre-nous ont été interpellées, nous n’avons jamais été réprimées avec la violence qui avait suivi d’autres mouvements, comme le Mouvement culturel berbère ou les manifestations de jeunes en 1985 et 1986», relate Louiza Hanoune, une des animatrices du mouvement de femmes pour l’abrogation du code de la famille, dans un entretien accordé à la journaliste Ghania Mouffok et publié sous forme d’ouvrage, Louiza Hanoune, Une autre voix pour l’Algérie, aux éditions La Découverte. Le projet de loi a été retiré puis discuté et adopté trois années après, en juin 1984.

La révolte des militantes est montée d’un cran. Le journal El Moudjahid a fait état de l’information ainsi que des débats tenus autour de ce texte. «Les militantes et toute l’opinion s’étaient indignées des discussions des députés sur la longueur du bâton qui devait flageller les femmes pour les amener à la soumission», se rappelle une militante.

Pour Louiza Hanoune, si les autorités ont réussi à faire adopter ce texte, c’est parce que le mouvement s’était un peu essoufflé et le Comité de femmes constitué suite au rassemblement continuait à réfléchir aux moyens de mobilisation. «Nous savions qu’un autre texte de loi était en train de se préparer, avec la collaboration active des habituelles femme alibis, ces femmes qui ont fait carrière dans les appareils d’un régime grand distributeur de privilèges, un régime qui avait déclaré la guerre à la moitié de la population avant de l’étendre à toute la société», ajoute Louiza Hanoune en faisant allusion à la répression de tous les mouvements en 1982.

Elle soutient que le régime algérien a profité des arrestations pour faire passer le code de la famille.

Les militantes s’étaient mobilisées pour la libération des détenus politique. La revendication est demeuré l’une des préoccupations des femmes militantes qui ont constitué des associations en 1989. Elles sont pour la plupart issues du mouvement de la contestation du code de la famille.

POURQUOI UN 8 MARS ?

Une rencontre nationale les a réunies en novembre 1989. Depuis, de nombreuses actions ont été menées dans le cadre de collectifs d’association ou au niveau des différentes organisations.

La date du 8 Mars, Journée internationale de la femme, a de tout temps été célébrée en Algérie dans un cadre de contestation et pour exiger l’abrogation de ce code. Des actions d’envergure ont été menées depuis 1990 malgré la menace terroriste. Des rassemblements, des marches, des publications et des pétitions ont été initiés. Le collectif Maghreb Egalité a initié la proposition des cents mesures. En 1996, des amendements ont été proposés par le gouvernements dans le cadre d’un séminaire ayant pour thème «La protection de la femme », organisé par le ministère de la Solidarité en 1996. Des divergences sont apparues et plusieurs associations ont rejeté cette initiative.

Une lettre ouverte des associations de femmes a été adressée au président de la République demandant la ratification sans réserve de la convention de Copenhague sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la déclaration de l’anticonstitutionnalité du code de la famille. Le 8 mars 1997, 14 associations ont initié une pétition d’un million de signatures autour des 22 amendements émanant de l’atelier de Rabéa Mechernène, ministre de la Solidarité de l’époque.

De 1992 à 2002, la revendication d’abroger les dispositions discriminatoires et les remplacer par des lois égalitaires a été brandie à chaque fois que l’occasion se présentait. C’est ainsi qu’un collectif d’associations de femmes a lancé à l’occasion du 8 Mars 2003 la campagne «Code de la famille, 20 ans barakat».

L’amendement ou la révision du code de la famille ont figuré dans les programmes des différents gouvernements à l’approche de chaque échéance électorale. A ce jour, aucune modification n’a été apportée. La commission installée par le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, travaille toujours sur le dossier, mais la décision finale revient au président de la République, lequel avait déclaré lors de son discours d’investiture qu’on ne peut aspirer à une démocratie sans une réhabilitation effective de la femme dans ses droits. D. K.

**********

El Watan , 9 juin 04 C

ZOHRA DRIF. Avocate-sénatrice

Décalage par rapport la société 

Propos recueillis par

Nabila Amir

Comment les pouvoirs publics ont pensé à mettre en place le code de la famille et comment avez-vous pris connaissance du projet ?

Je suis une avocate de terrain depuis 1967. J’ai eu à traiter des problèmes qui concernent la famille, à savoir le divorce, la garde des enfants... Nous avons vécu et connu les véritables problèmes auxquels était confrontée la famille algérienne.

A l’époque, les tribunaux traitaient de ces affaires en procédant de la même manière qu’à l’époque de l’occupation coloniale. Le cadi gérait ces problèmes en se basant sur la chari’a. De 1962 à 1984, les tribunaux spécialisés en matière de statut personnel continuaient à régler ces problèmes sur la base des préceptes coraniques et de la charia, mais l’évolution de la société algérienne durant ces années a donné lieu à d’autres aspects que les tribunaux ignoraient, mais qu’ils devaient impérativement régler pour préserver les intérêts des parties (famille, couple, enfants).

Une solution a été trouvée en usant de la jurisprudence (jugement des tribunaux, de la cour d’appel) et de l’interprétation juridique de la charia. Parmi les nouveaux problèmes qui ont surgi, du fait de l’évolution de la société, et sur lesquels devaient statuer les magistrats, ceux relatifs au domicile conjugal et à la garde des enfants. Auparavant, lorsqu’un couple divorçait, la femme ne se retrouvait généralement pas dans la rue. Elle retournait, accompagné de ses enfants, chez ses parents. Après l’indépendance, les choses ont changé, car, avec le divorce, le problème du domicile s’est posé avec acuité. Sur ce point, les concernés ont fait un effort (idjtihad) et ils ont trouvé une issue.

Ayant pris connaissance de cette faille, le législateur a introduit, dans la discrétion totale, un article dans le Code civil qui stipulait que dans les cas de divorce le juge avait le pouvoir d’apprécier, selon les cas, qui des deux parties devait bénéficier du domicile conjugal. En réalité, il y avait une certaine souplesse dans le traitement de cette question. Petit à petit, les choses commençaient à prendre d’autres dimensions.

Sur la question du statut personnel, les pouvoirs publics — compte tenu de notre réalité sociologique, les traditions et les verrous — avaient choisi de procéder par étape et sans tapage pour le règlement de cette question. Dans les années 1980, les responsables de l’époque ont décidé, au regard du vide juridique existant  sur ce plan (relation familiale), de mettre en place un projet de code de la famille.

C’est à ce moment que les femmes sont sorties pour manifester leur mécontentement…

La protestation a été déclenchée par les praticiens du droit, notamment les avocats.

Lorsque nous avons appris qu’un code de la famille était en préparation et à l’étude au niveau du ministère de la Justice, nous avons déployé des efforts pour nous le procurer. En constatant qu’il était en régression par rapport à l’évolution de la société, nous avons décidé alors d’alerter l’opinion

publique, notamment les universitaires, afin d’élaborer ensemble un contre-projet.

Une fois réalisé, nous l’avons déposé et défendu au niveau de la commission juridique de l’APN, mais rien n’a changé puisque, quelques jours après, le texte initial était programmé pour le vote.

Nous avons alors décidé d’occuper la rue pour manifester notre colère et notre désaccord avec le projet. Bien plus tard, nous avons tenu des réunions avec les femmes du FLN, du RND et du MSP.

Ces dernières ont adhéré à nos actions et ont approuvé notre démarche. Elles étaient chargées de sensibiliser les autres militantes. Donc même le courant conservateur islamiste a rejeté le code de

la famille…

Quels sont exactement les points noirs du code de la famille ?

Il existe une série d’articles qui ont des conséquences néfastes sur la société dans son ensemble. Il s’agit,entre autres, de l’instauration d’un tuteur pour la validation du mariage, le domicile conjugal qui doit revenir de droit à l’époux, le problème du partage de la tutelle parentale en cas de divorce.

A votre avis et après vingt ans de combat, pensez-vous que le président de la République tiendra sa promesse quant à la révision du code de la famille?

Le président de la République s’est engagé solennellement pour la révision du code de la famille. En ce qui me concerne, la question du code de la famille est dépassée. Notre société a tellement évolué que l’égalité entre l’homme et la femme ne doit pas normalement être à l’ordre du jour.

Trouvez-vous normal que dans notre pays on évoque toujours les conséquences de ce code, et ce, au moment où des femmes occupent des postes-clés dans les institutions et que nous avions même une femme qui s’est présentée à l’élection présidentielle du 8 avril ?

Notre société a profondément changé, et les familles les plus conservatrices se sont fondées dans ces mutations. J’estime que la société algérienne est en avance sur les hommes politiques.

Cet éveil a permis aux Algériens, particulièrement aux femmes, de revendiquer le principe de l’égalité entre l’homme et la femme sans aucune distinction, et ce, comme le consacre la Constitution de 1962. L’engagement des femmes lors des élections reflète cette exigence. Aujourd'hui, il faut impérativement revoir ce code afin de le mettre en adéquation avec la Constitution. N.A.

 *********

El Watan - Mercredi 9 juin 2004 - p7

CES FEMMES RÉPUDIÉES ET CHASSÉES DU DOMICILE CONJUGAL

ÿMaman, pourquoi n’avons nous pas de maison ?¨

·        Zohra, Aïcha, Djamila, Fouzia et tant d’autres sont ces mères, parfaites victimes du code de la famille. Répudiées et chassées du domicile conjugal par leurs époux, elles se retrouvent livrées à la mendicité pour nourrir leurs enfants qui les accompagnent.   Chacune est une histoire dramatique...

Derrière ses grands yeux verts se cache un regard terriblement triste. Le visage ridé, surmonté d’un foulard cachant totalement ses cheveux et serrant dans ses bras son fils, âgé de 16 ans, Zohra est cette femme à laquelle les passants et les riverains de la rue Hassiba Benbouali (à Alger) se sont habitués.

Une cage d’escalier comme gîte, du papier carton comme matelas et des couvertures sales, Zohra a passé plus de six longues années dans la rue.

Elle refuse de nous décliner son identité et son lieu d’origine. A trente trois ans, elle donne déjà l’air d’une femme qui supporte le poids d’un demi-siècle. A peine l’adolescence franchie, ses parents l’ont mariée à un homme de l’âge de son père. Alors que son fils avait bouclé ses dix années, son mari l’obligea à vivre avec sa deuxième épouse. Zohra ne supporte plus la vie infernale qu’elle endure avec celle-ci. Le mari décide alors de divorcer de Zohra, contrainte de quitter le domicile conjugal. Ses parents conditionnent son retour à la maison familiale par l’abandon de son fils. Elle refuse et se retrouve donc errant dans les rues d’Alger.

«J’en souffre terriblement. Si je n’ai pas mis fin à ma vie, c’est uniquement parce que je ne veux pas laisser mon fils seul dans la rue. Je suis devenue une loque humaine. Si vous m’aviez vue lorsque j’étais jeune vous ne me reconnaîtrez pas», nous a-t-elle lancé en larmes, exhibant des photos de jeunesse. Zohra était effectivement exceptionnellement belle.

Elle regarde tendrement son fils qui ne la quitte pas d’une semelle et rétorque : «Il a grandi dans la rue. Il n’a jamais eu des journées de joie comme les enfants de son âge. Il me fait beaucoup de peine, parce que souvent lorsque mon moral atteint son plus bas niveau je ne me rends pas compte et je me comporte violemment avec lui. Comme si c’était lui le fautif. Il pleure pendant des heures puis il me pose tout le temps cette question qui me donne froid au dos : maman, pourquoi nous n’avons pas de maison ?»

Zohra ne peut pas travailler parce qu’elle n’a pas de toit. Elle ne peut avoir un toit si elle n’a pas de revenu. Un cercle vicieux dans lequel elle est piégée depuis déjà six longues années.

Quelques centaines de mètres plus loin, Djamila, une quarantaine d’années, assise à même le sol, tenant sur ses genoux Samia, sa petite fille de 5 ans. Cela fait une année et demie qu’elle vient régulièrement s’adosser au mur de l’hôtel Essafir (Aletti) pour demander l’aumone. Son fils Abdelkader vient de boucler ses 8 ans. Après les cours, il mendie lui aussi dans les rues d’Alger. «Il ne veut pas rester avec moi. Mais, chaque soir nous nous regroupons dans notre baraque à Belcourt. J’ai très peur pour l’avenir de mes enfants. Si je trouve un travail, ils peuvent être sauvés…», nous dit-elle.

Son histoire ressemble à celle de Zohra. Son mari a décidé de prendre une deuxième épouse sans qu’elle le sache. «Il commençait à être violent et trouvait le moindre prétexte pour me battre. J’ai demandé le divorce. Il a vite sauté sur l’occasion en me chassant de la maison. Le juge l’a condamné à verser une pension alimentaire pour ses enfants, mais je n’ai jamais vu son argent (...), la rue a été ma seule échappatoire. Je mendie la journée et le soir, je dors dans les cages d’escaliers ou à proximité du commissariat centrale pour ne pas être agressée. Ma famille, qui est à Annaba, refuse de me prendre en charge avec mes deux enfants. Mes parents veulent que je laisse les enfants chez leur père avec la marâtre. Ça jamais. Je préfère mourir que de les voir souffrir avec leur marâtre…», nous a-t-elle déclaré avec une voix entrecoupée de sanglots. Sa fille s’accroche à son cou et lui dit tendrement : «S’il te plaît maman ne pleure pas.»

J' AI PEUR DE MOURIR ET DE LAISSER MES ENFANTS DANS LA RUE¨

Fouzia a trois enfants. Elle demande l’aumône la journée pour payer la chambre d’un hôtel situé à La Casbah où elle est hébergée depuis des années avec ses deux enfants de 13 et 17 ans. Sa fille aînée, 19 ans, a été placée chez sa tante. Elle refait son bac pour la deuxième fois. «Je n’ai pas trouvé de travail. Lorsque mon mari a pris une deuxième épouse, nous ne pouvions vivre à six dans un deux pièces. Mes enfants souffraient de cette situation. Il conditionnait le divorce par l’abandon du domicile conjugal. J’ai fini par accepter. Depuis, je vis de l’aumône. Mon mari le sait, mais il n’a jamais cherché après ses enfants. Je vis comme un animal. Je suis à la merci de tous les hommes qui me donnent quelques sous. Le regard méchant des gens me rend malade et me pousse souvent à faire des choses que je regrette. Ce sont parfois mes enfants qui encaissent. Si j’avais les moyens, je les aiderais à partir de ce pays où l’injustice règne en maîtresse..»  Sous les arcades du boulevard Amirouche, Aïcha entourée de quatre enfants âgés entre 2 et 8 ans, vit dans ces conditions depuis deux ans, l’âge de son cadet. Elle était enceinte de celui-ci lorsqu’elle avait été chassée par son mari qui avait deux autres épouses plus jeunes qu’elle à la maison. A peine quarante ans, elle a 8 enfants, dont quatre sont encore avec leur père. «Je ne sais pas quelle vie ils mènent avec leurs marâtres. Quand j’étais là-bas, pour n’importe quel prétexte ils étaient tout le temps battus par leur père ou l’une des deux marâtres. Je ne pouvais plus supporter de voir les autre enfants, plus jeunes continuer à subir cette violence. Je les ai pris et j’ai quitté Oran, pour venir vivre avec l’aide des âmes charitables. Je sais que la rue est le pire des dangers, mais que voulez  vous je n’ai pas eu d’autres solutions. Mes enfants auraient dû être comme tous les autres dans le foyer familial. Mais regardez-les, ils n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, de jouer ou tout simplement de manger à satiété. J’aurais voulu plutôt mourir que de les voir ainsi...» Pour Aïcha, le seul mois où ses enfants retrouvent la chaleur d’un bon dîner est le Ramadhan, dans les restaurants de la rahma. Les périodes les plus rudes à passer, surtout pour ses enfants, sont celles de l’hiver. «Le plus jeune a tout le temps des angines, parfois je le soigne avec des médicaments que me donnent gratuitement certaines pharmacies, mais souvent un simple rhume dure des mois et des mois faute de soins. Je suis fatiguée et j’ai peur qu’un jour mon cœur s’arrête et mes enfants se retrouvent seuls dans la rue. J’aurais aimé réunir tous mes enfants et être dans un centre. Je pourrais travailler et nourrir toutes ces bouches au lieu de faire face aux regards et comportements des gens dans la rue. Il est terriblement dur pour une femme de supporter des situations où lorsqu’elle tend sa main vers un homme celui-ci lui fait des propositions honteuses. Souvent mes enfants me demandent pourquoi ils n’ont pas de maison ? Pourquoi leur père ne cherche-t-il pas après eux, pourquoi n’ont-ils pas le droit de jouer avec les autres ?... Autant de questions auxquelles je n’ai jamais trouvé de réponses. Mon souci à moi, c’est de les nourrir...»

Ces témoignages ne reflètent en fait qu’une partie infime des drames que vivent ces milliers de mères chassées de leur domicile conjugal. Ces victimes hanteront et continueront à hanter à tout jamais les esprits de ceux qui, un certain 22 juin 1984, ont adopté les dispositions du code de la famille, notamment celle qui permet à un mari de répudier son épouse et de la mettre à la rue avec ses enfants, juste pour se remarier.   Une lourde injustice qui dure depuis vingt ans et qui mine de nombreux foyers algériens.

Salima Tlemçani

 ********

Violé, elle réclame justice

Elle entamera des démarches afin de faire bénéficier sa famille de l’allocation réservée aux victimes du terrorisme.

Elle a épuisé tous les recours légaux, écrit au président de la République, au ministre de la Justice, saisi des organisations de femmes. En vain. Depuis 1997, F. T., qui préfère témoigner sous l'anonymat, se bat afin que justice lui soit rendue. Afin que soit condamné celui qui a abusé d'elle sexuellement, sous la menace d'une arme à feu. «Un membre de la garde républicaine» de surcroît, accuse-t-elle. Elle fait partie des victimes du terrorisme. «Les terroristes au moins sont des criminels, des hors-la-loi, mais un représentant de l'Etat…», dénonce-t-elle. Tout se passe au mois de décembre 1997, lorsque des terroristes tentent une incursion dans une petite ville de la banlieue est d'Alger. Sous la panique, les habitants fuient leurs domiciles pour aller se réfugier dans une caserne. Parmi eux F. T. qui sauve avec elle son petit neveu.

Dans sa course folle, l'enfant finit par lui tomber des bras. Il s'en sortira avec des ecchymoses au visage. Le lendemain matin, les habitants retourneront chez eux. Orpheline, F.T. n'avait d'autre tuteur que son frère, mort au mois de mai de la même année dans un attentat à la bombe, laissant derrière lui une veuve et des enfants en bas âge. Elle entamera des démarches afin de faire bénéficier sa famille de l'allocation réservée aux victimes du terrorisme. Le lendemain de l'incursion, F.T. conduit son neveu au service maxillofaciale du CHU Mustapha Bacha. «Un homme entre, puis me demande ce que je venais faire. Je lui raconte naïvement toute mon histoire. Se présentant comme fonctionnaire de la garde républicaine, il me propose ses services pour obtenir l'allocation réservée aux familles victimes du terrorisme. Je lui ai fait confiance…», regrette- t-elle. Il lui fixe un rendez-vous, le 20 décembre 1997, à la place des Martyrs. Il l'invite alors ce jour-là dans un hôtel, lui faisant croire que la personne qui peut intervenir pour elle s’y trouverait. Les choses vont vite : sous la menace d'une arme à feu, elle soutient que le garde républicain l'a violée.

La violence sexuelle dont a été victime F.T. est attestée par un certificat médical délivré le même jour par le service de médecine légale du CHU Mustapha Bacha. Les investigations menées par la gendarmerie nationale aboutiront à l'interpellation du mis en cause. Niant les faits, celui-ci sera reconnu non coupable par le tribunal d'Alger, un verdict contre lequel F. T. a fait appel. «Je ne veux pas qu’il me prenne pour épouse afin de réparer sa faute, je ne supporte pas de le regarder. Je me bats pour qu’on me rende justice», soutient-elle. Am. H.

 *********

La campagne« 20 ans barakat »

La campagne «Code de la famille, 20 ans barakat», initiée à l’occasion du 8 Mars 2003 et lancée officiellement le 11 mars de la même année suite à une conférence de presse organisée par le collectif d’associations algériennes à Alger, se veut aujourd’hui une des plus grandes actions menées pour l’abrogation du code de la famille depuis sa promulgation en juin 1984. Plusieurs actions et manifestations ont été organisées depuis son lancement en Algérie et en France. L’initiative a pour objectif de mobiliser et d’informer sur les méfaits du code de la famille.

L’idée de vulgariser le contenu de ce texte de loi a été retenue. Aussi est-il diffusé sur le site «20 ans barakat», qui constitue un des outils pour mieux mener cette campagne.

L’insertion de placards publicitaires dans les quotidiens nationaux a été la première action concrétisée. Un concours pour la meilleure affiche a été lancé également, et le premier prix est revenu à un étudiant de l’Ecole des Beaux-Arts à Alger et qui a été primé à l’occasion de l’exposition organisée le 8 mars 2004. «Hormis les nominés, les autres candidats ont été dédommagés pour le matériel utilisé durant la participation au concours. L’objectif de cette affiche est de rendre par le trait et la couleur le vécu des femmes algériennes au quotidien dans ses aspects discriminatoires sous-tendus par le code de la famille», signale un membre du collectif. Un atelier d’écriture est également initié avec des enfants aidés de leurs enseignants afin de faire connaître le contenu du code de la famille et sensibiliser ces jeunes filles et garçons sur les conséquences de ce texte. Comme il est également attendu la parution d’une revue «20 ans Barakat», qui portera le nom d’une femme résistante. «La revue sera un référent pour le mouvement féministe», soutient une militante et ancienne moudjahida. Un CD intitulé Ya El Qadi a été également produit en France et est sorti en novembre 2003. 28 chanteuses algériennes installées en France ont pris part à cette œuvre. 6000 CD ont été vendus à ce jour, et les fonds seront versés au collectif algérien pour poursuivre la campagne. A défaut d’autorisation pour un rassemblement ou une manifestation à Alger, le collectif d’associations algériennes a décidé de mener des actions à la symbolique très forte à l’occasion de la vingtième année de l’adoption du code de la famille par l’APN. Une déclaration sera rendue publique.

Djamila Kourta

Remonter 

 

 

 

 

 

ACCUEIL

Présentation du Collectif 

Les associations

Le Code de la famille

La presse

Quelques dates 

La campagne en France

AGENDA