Collectif 20 ans barakat

 

Le Monde : année 2004

Souad, Akli et Barbara chantent leur rejet du code de la  famille algérien

LE MONDE ,12.04.04

La chanteuse Souad Décosse a 32 ans. Elle en avait 20 quand elle a fui son pays, l'Algérie, pour pouvoir se marier avec un Français, au début des années 1990. "J'avais pris de gros risques puisque, selon le code de la famille algérien, une femme n'a pas le droit de voyager sans l'autorisation de son père, et encore moins d'épouser un non-musulman", raconte-t-elle.

Elle pensait pouvoir se réconcilier avec ses origines, qu'elle n'a jamais reniées, en offrant la double nationalité à sa fille, Maïssam, aujourd'hui âgée de 4 ans. Mais à l'ambassade d'Algérie de Paris le code de la famille l'a rattrapée : "On m'a dit que ma fille ne pouvait pas obtenir la nationalité algérienne, raconte-t-elle avec des larmes de colère, parce que ses grands-parents étaient français. On m'a précisé que si j'avais été un homme elle l'aurait eue automatiquement."

Alors, quand des membres de l'association 20 Ans Barakat lui ont proposé de prêter sa voix à une chanson pour lutter contre le code de la famille, elle n'a pas hésité. Le nom arabe de cette association, créée en février 2003 et installée à Dijon, signifie "20 ans, ça suffit", en référence au 9 juin 1984, jour où fut voté le code.

En mars 2003, l'association a fait appel à 28 chanteurs avec l'intention de sortir un single : "Beaucoup de femmes ignorent à quoi elles sont soumises en vertu de ce code de l'infamie, qui légalise l'infériorisation de la femme et sa mise sous tutelle par les hommes, indique Fawzia Baba-Aissa, l'une des fondatrices de 20 Ans Barakat. On voulait une chanson simple et populaire pour sensibiliser les gens à notre cause. C'est comme ça qu'est né Ouech dek yal qadi -Eh juge, qu'est-ce qui t'a pris ?-." Tous les artistes sollicités par l'association répondent présent et offrent leur concours à titre gracieux.  Ils chantent en arabe et en français, détaillant au fil des couplets les articles du "code sans espoir". Samira, une autre chanteuse, est née en France mais elle a grandi en Algérie. Elle n'a pas eu à pâtir du code de la famille directement. C'est l'expérience de sa tante, divorcée et de fait chassée du domicile conjugal, survivant avec une "pension minable", qui l'a décidée à chanter pour 20 Ans Barakat. "Dans les petites villes surtout, où le poids des traditions est très fort, les femmes répudiées n'ont plus aucun statut, même si elles sont médecins, explique la jeune femme. Elles ne valent plus rien parce qu'elles ne sont plus vierges. Leur famille a droit de vie ou de mort sur elles."

SUR BEUR TV ET AU CINÉMA

Parmi les artistes invités par l'association, il y a aussi des hommes : quatre chanteurs qui ont tenu à manifester leur solidarité. Akli D, habitué des causes humanitaires, admet que ce projet a un retentissement particulier chez lui. "A 10 ans, j'étais révolté de voir la soumission et l'obéissance de ma mère. Je me suis rendu compte qu'on pouvait écouter un gosse de mon âge, qui connaissait à peine le chemin de la maison, et pas une femme." A ses yeux, cette loi témoigne de l'endoctrinement de la population algérienne : "Au nom de la religion, on enferme les femmes. On leur interdit de réfléchir, et pendant ce temps on reconnaît la polygamie."

Barbara Luna a, pour sa part, tenu à chanter sa révolte en arabe. D'origine argentine, elle a travaillé la prononciation pour pouvoir mêler incognito sa voix au chœur des autres chanteurs :"C'est une cause universelle, dit-elle, il m'a semblé naturel d'y adhérer."

Sorti en novembre 2003 en Algérie, et en décembre en France, le clip de Ouech Dek Yal Qadi passe en boucle sur Beur TV. Il est également projeté avant le film Viva Laldjérie, de Nadir Moknèche, sorti le 7 avril. On y voit des hommes mais surtout des femmes joignant leurs mains pour chanter : "Ecoutez la chanson, elle ne changera pas d'air/ Et qu'on se le dise cette loi est à défaire." Même si aucune chaîne de télévision algérienne ne diffuse pour l'instant le clip, les chanteurs espèrent que leur message sera entendu. Et qu'Abdelaziz Bouteflika, le président sortant réélu vendredi 9 avril, tiendra enfin sa promesse de réviser le code.

Charlotte Collonge

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.04.04

***********

ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL LE MONDE DU 10.06.04

Libérez les femmes algériennes !

par Arezki Metref 

Avec le code de la famille de 1984, ce texte de loi scélérat, la majorité féminine de la population algérienne est contenue dans un statut de mineures.

Ahmed Ouyahia, le premier ministre algérien, vendu longtemps par les décideurs comme un jeune cadre puisé dans le vivier moderniste, vient de déclarer tout à trac que le code de la famille - alias code de l'infamie - sera certes amendé, mais sans perdre de vue les principes de "notre religion", l'islam. 

La cause est entendue. Il n'est pas meilleur raccourci pour tomber de Charybde en Scylla. Le combat mené depuis deux décennies par des femmes et des hommes pour rendre cohérente la concomitance entre démocratie et droits démocratiques, ceux des femmes passant par l'abrogation de cette compilation d'archaïsmes, est balayé d'une pichenette par un chef du gouvernement qui avait gravi les marches du pouvoir assis sur les baïonnettes anti-intégristes. Preuve que l'on peut barrer la route du pouvoir aux sectateurs de la charia sans prendre le risque de les combattre sur le fond.

Si les femmes algériennes ont encore quelque chose à demander à Allah, c'est de les préserver de leurs amis. Le reste, elles s'en chargent très bien elles-mêmes. Souvent, ces dernières années, des milliers d'entre elles l'ont payé de leur vie.

On savait que la modernité menait à tout mais on ignorait que c'était subordonné à cette condition essentielle : en sortir ! Force est de constater que les pouvoirs algériens successifs depuis l'année orwelienne n'arrivent pas à en sortir. Vingt ans après sa promulgation et son entrée en vigueur le 9 juin 1984, le code de la famille demeure le point nodal de la société algérienne.

En l'élaborant, vingt-deux ans après l'indépendance arrachée aussi grâce aux femmes, chose inévitablement rappelée à la moindre réunion de sa satellitaire UNFA (Union nationale des femmes algériennes), le FLN faisait faire à l'Algérie un bond en arrière de quelques siècles. L'aile la plus rétrograde du pouvoir algérien, l'œil rivé sur les temps de l'obscurité, profitait du climat délétère du règne blafard de Chadli Bendjedid pour décocher la flèche empoisonnée qu'elle n'a même pas sortie de son fourreau du temps de la dictature de Boumediène. 

La politique de ce dernier, arrivé au pouvoir par un putsch en juin 1965, manquait notablement de souplesse démocratique, mais le sens de l'égalité restait suffisamment fort pour que, à plusieurs reprises entre 1966 et 1979, les conservateurs essuient des rebuffades dans leur tentative de faire adopter ce qui deviendra le code de la famille. 

Prétendant ressourcer aux traditions un pays tenté par la perdition occidentaliste, le code de la famille ne faisait rien moins que formaliser en droit l'infériorité du statut de la femme par rapport à celui de l'homme. La femme étant le démon, il convient de la protéger de bonne foi, et d'abord contre elle-même.

S'il était parvenu au pouvoir, le Front islamique du salut (FIS) n'aurait pas fait pire. Plus de quatorze siècles après l'avènement de l'islam, le code de la famille à l'algérienne remettait d'une certaine manière les compteurs à zéro. Il rendait légal ce qui était licite contre la femme : polygamie, mise sous tutorat, déni des droits à la succession. Les femmes ne peuvent se marier librement. Le droit au divorce leur est interdit. L'épouse peut se faire expulser du domicile conjugal quand l'époux décide de divorcer.

Il fallait fermer la parenthèse de la guerre de libération dont les nécessités pratiques et idéologiques abolissaient la suprématie masculine. La supériorité de l'homme, légitimée par une lecture fondamentaliste de l'islam, ne pouvait tirer une quelconque justification de l'inégalité des comportements face aux dangers de la guerre. La femme peut même davantage faire preuve d'héroïsme que l'homme. Mais ce qui vaut en temps d'exception ne saurait être la règle.

Avec ce texte de loi scélérat, la majorité féminine de la population algérienne est contenue dans un statut de mineures. Et comme les paradoxes coûtent moins cher au conservatisme islamisant que l'expression du talent des femmes à améliorer le vécu social, y compris et surtout celui des hommes, on remarquera à peine que ces femmes qu'on relègue dans un statut d'infra-citoyennes sont les piliers de secteurs névralgiques comme l'éducation et la santé.

Si, comme le projetaient les stratèges du FIS au cas où ils tiendraient les rênes du pouvoir, les femmes étaient renvoyées à leurs casseroles et à leurs couches pour "procréer des croyants", selon la sentence d'Ali Belhadj, un hôpital sur deux et une école sur deux ne seraient plus en mesure de fonctionner en Algérie.

Le code de la famille poussé à sa dernière rigueur, cela donne l'Afghanistan des talibans. Les simili-imams qui ont gravé noir sur blanc, avec le sceau de la république en prime, l'infériorité de la femme sur l'homme au nom d'un islam bidouillé en code pénal oublient à dessein que les femmes algériennes, à l'instar de leurs sœurs des sociétés musulmanes, sont partout où l'humanité bouge pour se rendre meilleure. Elles sont ouvrières, professeurs, chercheuses, médecins, maires, ministres. Elles sont là où la modernité s'élabore et se concrétise. Elles sont là où, parfois, l'homme ne sait pas être.

Rien ne justifie, vingt ans après son adoption en catimini, que le code de la famille ne soit pas abrogé. L'Algérie demeure, avec ce boulet, le dernier pays d'Afrique du Nord à pratiquer une politique névrotique à l'égard de la femme, discriminée et humiliée. La Tunisie reconnaît de longue date, grâce au volontarisme de Bourguiba, le statut de citoyennes aux femmes. En janvier 2004, le Maroc de Mohammed VI a modifié la législation en faveur des droits des femmes.

Pourquoi l'Algérie reste-elle, à l'égard des femmes, dans la contradiction avec sa propre Constitution, qui stipule sans aucune équivoque l'égalité des citoyens "sans discrimination de sexe, de race ou de religion" ? Il en est sans doute ainsi autant par la prégnance de l'islam dans la société elle-même que par le fait que le conservatisme sur ce point n'est pas dans le camp exclusif des conservateurs. Les forces politiques se réclamant de la modernité - qui se battent, en fait, pour la démocratie - ne font pas de la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes la clé de voûte de leur action. Pourtant, aucune ouverture sur le monde d'aujourd'hui n'est possible si la moitié de la population d'un pays reste considérée comme inférieure à l'autre moitié.

Les traditions islamiques, conjuguées au legs sociétal méditerranéen, placent dans la femme l'honneur de l'homme. L'évolution de la société algérienne, sous les électrochocs de la violence politique, montre que la réalité va plus vite que les mentalités et le droit.

L'honneur, aujourd'hui, pour les hommes au pouvoir, c'est de cesser de demander qu'on cache ce sein qu'ils ne sauraient voir. Il faut qu'ils entendent ces femmes qui crient : "Vingt ans, barakat !", "Ça suffit !".

Arezki Metref,  Écrivain algérien, vit en France depuis 1994. 

remonter 

*************

Les répudiées de la République

LE MONDE | 10.06.04 | 13h26

Une étonnante cohabitation du droit français et du code de la famille algérien le permet : la procédure de répudiation est applicable en France à des femmes immigrées. Témoignages.

Hormis un poster de La Mecque, les seules photos qui ornent son salon sont celles du mariage de sa fille Sonia, posant tour à tour en costume kabyle à broderies dorées et en robe blanche à la française.

Dans cet immeuble de la banlieue de Lyon, qu'elle n'a jamais quitté depuis son arrivée en France, il y a vingt-cinq ans, Leila (c'est le prénom qu'elle se choisit) accueille les visiteurs avec un thé à la menthe et un sourire très doux, presque effacé. Son mariage à elle a été un désastre. A 56 ans, cette mère de famille fait partie des milliers de femmes maghrébines vivant en France que leurs maris algériens ou marocains ont choisi de répudier en utilisant, parfois frauduleusement, la loi du pays d'origine.

"Avant de subir moi-même le code de la famille algérien, je n'y pensais pas. Je n'imaginais pas que ça pouvait me casser la vie. Que le tribunal, là-bas, m'ait jetée comme un torchon sale... C'est tellement injuste. Je croyais qu'ici je serais sauvée", soupire Leila en épluchant la pile de documents estampillés qui racontent, dans le jargon des gens de robe, son cauchemar personnel. Adopté par le Parlement FLN, puis promulgué le 9 juin 1984, le code de la famille algérien fait de la femme une mineure à vie, placée sous le tutorat de son père, de ses frères ou de son mari. Les dispositions de ce code "font que les femmes ne peuvent pas se marier librement ; qu'elles n'ont pas droit au divorce ; qu'elles peuvent être mises dehors avec leurs enfants quand le mari décide de divorcer ; que, chargées d'élever les enfants, elles en ont les obligations mais non les droits, puisqu'elles ne peuvent ni partager l'autorité parentale ni avoir une part égale à l'héritage", rappellent, dans une lettre ouverte au président Bouteflika, les militantes du collectif 20 Ans Barakat (vingt ans, ça suffit), créé à l'occasion du vingtième anniversaire de cette loi. "Pour moi, c'est fichu. Mais si, de raconter, ça peut aider les autres...", hésite Leila.

Bien que sa vie d'épouse et de mère de famille n'ait pas été un long fleuve tranquille, cette Lyonnaise d'adoption n'avait d'elle-même "jamais pensé au divorce". Son mariage tardif en Algérie, "arrangé" par les deux familles en 1979, elle le subit sans protester, de même qu'elle accepte sans broncher de partir pour la France, où son époux, un Franco-Algérien de vingt ans son aîné, travaille comme tourneur-ajusteur. Elle ne dit rien non plus quand son mari la trompe et qu'il prend l'habitude de la frapper - "même devant les enfants".

Elle réagit à sa manière : "J'étais soumise à lui, alors je me suis mise à porter le foulard - pour être soumise à Dieu", dit-elle. Les insultes et les coups n'arrêtent pas pour autant. Accompagnés bientôt de menaces de divorce. "Il a d'abord fait sa demande au tribunal de Lyon. Il disait que j'étais fautive", poursuit Leila, en extirpant un extrait d'acte judiciaire où l'époux se plaint du "style de vie frisant l'intégrisme religieux" de sa femme, "ce qui coupait le couple de toute relation sociale". Hélas pour le mari, le tribunal de Lyon lui donne en partie raison... "Le juge a dit OK pour qu'on se sépare, à condition, en attendant le divorce, qu'il quitte l'appartement, que j'aie la garde des enfants et qu'il nous verse une pension alimentaire", résume Leila. Furieux de ces contraintes, le mari suspend la procédure et quitte le domicile familial. Leila ne le reverra plus. Elle enlève son foulard, désormais inutile. "Il envoyait un chèque de temps en temps, c'est tout." Aux yeux de l'administration française, le couple est séparé, mais non divorcé.

Trois ans plus tard, alors que le mari s'est mis en ménage avec une autre femme, à quelques barres d'immeubles de son ancien domicile familial, Leila apprend, par un coup de téléphone de sa mère restée au pays, qu'une procédure de répudiation est en cours en Algérie. "Je ne savais rien, ni du voyage que mon mari avait fait là-bas ni de sa décision de divorcer", se souvient Leila. En quelques mois, sa vie bascule à nouveau. Car les juges algériens ont tranché : accusée d'abandon du domicile conjugal - prétendument situé en Algérie -, elle est répudiée sans 1 centime d'indemnité. En conséquence, une fois la copie du jugement enregistrée en France, le versement de sa pension est coupé "du jour au lendemain". Tout Algérien qu'il soit, le code de la famille a rattrapé Leila la Lyonnaise et ses enfants français... "Selon la convention franco-algérienne, promulguée en 1964, tout jugement rendu en Algérie est exécutoire de plein droit en France, rappelle son avocate, Me Marie-Noëlle Frery. Dans le cas de Leila, l'acte de divorce algérien a été envoyé, comme prévu, au parquet général de Nantes. Ce dernier l'a transcrit automatiquement, sans que le service d'état civil contrôle les conditions dans lesquelles ce divorce a été prononcé. En général, c'est malheureusement ce qui se passe. Est-ce que l'épouse a été convoquée ? L'a-t-elle été par écrit, et à la bonne adresse ? Etait-elle présente aux audiences et, dans le cas contraire, a-t-elle été représentée ? En clair : personne, côté français, ne s'assure que les conditions minimum d'un procès contradictoire ont été réunies avant de transcrire le jugement." En dépit des épreuves qu'elle a dû traverser, Leila n'est pas l'une des plus malchanceuses. Contrairement à d'autres, elle dispose d'une carte de séjour de dix ans, régulièrement renouvelée. A force de batailler, son avocate a réussi à obtenir le rétablissement du versement d'une pension, d'un montant total de 320 euros mensuels. En attendant d'arriver, un jour, peut-être, à convaincre le procureur et les juges français d'écarter la validité du jugement obtenu en Algérie par son mari... Dans son immeuble, ses voisins maghrébins lui ont tourné le dos. "Chez les Arabes, une femme divorcée est mal considérée. S'il y a divorce, c'est de sa faute : elle aurait dû garder son mari, se débrouiller, faire avec...", explique une de ses filles.

En France, la "cohabitation juridique" de droits appartenant à des "univers socioculturels divers, voire contradictoires", selon les termes de l'universitaire Edwige Rude-Antoine, pose de plus en plus question, s'agissant notamment des pays du Maghreb - exception faite de la Tunisie, où, depuis 1956, la situation juridique des femmes est l'une des moins discriminatoires du monde musulman. Les raisons de cette évolution sont nombreuses. "On est passé, en vingt ans, d'une immigration de main-d'œuvre masculine à une immigration structurelle", souligne la juriste, chargée de recherche au CNRS, dans l'un de ses ouvrages, Des vies et des familles - les immigrés, la loi et la coutume (Odile Jacob, 1997). Selon le dernier recensement (1999) de l'Insee, les Marocains sont les plus nombreux (504 096 personnes), suivis de près par les Algériens (477 482 personnes) et, loin derrière, par les Tunisiens (154 356 personnes).

Ces chiffres n'incluent pas, évidemment, ceux qui possèdent la nationalité française, Franco-Algériens, Franco-Marocains ou Franco-Tunisiens. Or, qu'ils (et qu'elles) soient étrangers ou binationaux, tous sont tributaires de cette délicate "cohabitation juridique" entre deux systèmes qui, bien souvent, s'opposent. Longtemps invisibles, car marginales ou occultées, certaines tragédies supposées personnelles sont placées désormais sous le regard de tous. "Les problèmes qui jusqu'ici trouvaient des solutions dans la sphère privée font irruption sur la scène publique : autorité excessive des pères et des époux, polygamie, répudiation... Autant de pierres jetées dans le jardin de l'immigration, qui constituent un risque pour les assises de notre démocratie", ajoute Edwige Rude-Antoine - l'une des rares juristes en France, avec Françoise Moneger (à Orléans) et Hughes Fulchiron (à Lyon), à s'être spécialisée depuis plusieurs années sur ces questions de droit international privé. "Il y a cinq ans, on recevait une ou deux demandes par mois portant sur ces problèmes de divorce et de répudiation, remarque une militante féministe algérienne, Feriel Lalami-Fatès, responsable de l'Association pour l'égalité, créée il y a quinze ans à Paris. Aujourd'hui, ce sont deux à trois cas qui nous arrivent chaque semaine." Les opinions publiques auraient-elles changé plus vite que les lois ? "Les femmes nées en France se montrent plus rebelles. D'autant qu'ici elles disposent de possibilités d'autonomie plus grandes, notamment sur le plan financier", estime l'avocate nantaise Marie-Cécile Rousseau, qui a le sentiment, elle aussi, que "les demandes augmentent", concernant les problèmes d'adoption ou de divorce. "Il n'y a pas de réponse standard, insiste l'avocate. On doit jongler en permanence entre les textes, qui évoluent sans cesse, et les situations, à chaque fois singulières, afin de trouver la solution la moins pire."

Les textes "de principe" forment eux-mêmes un maquis aux multiples arcanes. Qu'il s'agisse de l'article 3 du code civil (dont la Cour de cassation a déduit, dans un arrêt du 13 avril 1932, que toute personne étrangère, quel que soit son lieu de résidence, est soumise pour son statut personnel, c'est-à-dire les règles concernant notamment le mariage et le divorce, à la loi du pays dont elle a la nationalité) ou de l'article 310 de ce même code civil (qui prévoit, en matière de divorce, l'application de la loi française lorsque les époux, même de nationalité étrangère, ont leur domicile sur le territoire français), qu'il s'agisse de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 (qui prévoit, notamment, que le divorce de deux époux marocains s'établit selon la loi marocaine, même si le couple réside en France) ou de l'article 5 du protocole n° 7 de la convention européenne des droits de l'homme (qui pose le principe d'égalité des droits des époux durant leur mariage et lors de sa dissolution), seuls les savants ou les initiés peuvent espérer s'y retrouver ! D'autant plus qu'à chacun de ces textes "de principe" peut souvent s'opposer une règle d'exception... Tout en militant activement pour l'abrogation du code de la famille algérien, source de bien des maux des deux côtés de la Méditerranée, la Nantaise Zahia Belhamiti, présidente de l'association locale des femmes algériennes (ALFA), ne se berce pas d'illusions : "Dans nos pays d'origine, la tradition et la coutume l'emportent toujours sur la loi. Même si cette loi leur donne des garanties, beaucoup de Maghrébines n'ont pas les moyens de la faire appliquer - soit parce qu'elles sont financièrement démunies, soit parce qu'elles n'ont pas un entourage humain qui les soutient."

La loi, à l'évidence, n'est pas la seule en cause. "Pour les immigrés de la deuxième ou de la troisième génération, ceux qui sont nés et ont grandi en France, il y a quelque chose d'aberrant à devoir traverser la Méditerranée pour aller régler un litige", souligne la Parisienne Hakima Hafdane, présidente de l'association franco-marocaine pour l'accès aux droits et à la citoyenneté. "Dépendre de la loi française ou de la loi marocaine, ce devrait être un choix, ajoute-t-elle. Car il s'agit bien plus, dans ces affaires, d'un problème d'identification sociale que d'un problème juridique." Un point de vue que la juriste Edwige Rude-Antoine n'est pas loin de partager, quand elle suggère d'étudier la possibilité d'un "droit d'option"qui pourrait être offert, "peut-être au moment du mariage ?", aux étrangers et aux binationaux.

"En choisissant la loi française, beaucoup vont croire, malheureusement, qu'elles trahissent l'islam", commente Nadia, 23 ans, étudiante à Nantes. Contrairement à Leila, dont elle pourrait être la fille, c'est "par amour" que Nadia, licenciée en sciences commerciales, s'est mariée, à Alger, avec un compatriote "moderne, charmeur, très ouvert". C'est aussi "par amour" qu'elle l'a suivi en France. Ironie du sort, c'est le mari de Nadia, comédie libérale oblige, qui fera découvrir à sa jeune épousée l'Espace Simone-de-Beauvoir, centre féministe nantais, où l'ALFA tient ses réunions... Mais le masque tombe vite. En fait, le prince charmant n'a pas d'emploi et finit par admettre avoir été deux fois marié et divorcé. Nadia n'échappe pas, elle non plus, à la répudiation. Le fait qu'elle ait, par chance, déposé une demande de divorce à Nantes, avant que son mari ne dépose la sienne à Alger, est à double tranchant. "Je n'ai pas intérêt à divorcer trop vite : mon autorisation de séjour est liée à mon mariage", explique la jeune femme. Quant à l'idée d'un retour à Alger, il n'en est pas question. "Ici, mon statut est précaire. Mais là-bas, je suis condamnée : que j'habite seule ou que je retourne chez mon père, je serai une paria. Dans nos pays, divorcée rime avec prostituée."

Catherine Simon

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.06.04

 

Remonter 

 

ACCUEIL

Présentation du Collectif 

Les associations

Le Code de la famille

La presse

Quelques dates 

La campagne en France

AGENDA