Collectif 20 ans barakat Ile de France |
LE MONDE : année 2003LE MONDE | 05.12.03 M. Bouteflika propose d'"améliorer" le code de la famille en faveur des femmes en Algérie Sceptiques,
les féministes craignent une opération électoraliste, à cinq mois du scrutin
présidentiel. A cinq
mois de l'élection présidentielle, le débat sur le statut de la femme en Algérie
a été relancé par le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Une commission
interministérielle installée par le ministre de la justice a été chargée de
revoir "dans le sens de l'amélioration" les articles du code
de la famille les plus discriminatoires à l'égard des femmes. Il s'agit
notamment de l'attribution automatique du logement au mari en cas de divorce, de
la répudiation, de la polygamie, du refus de l'autorité parentale à la mère
et enfin de l'obligation pour la femme d'avoir un tuteur lors de son mariage. "Dans
la classe politique, même les islamistes du MSP
-Mouvement de la société pour la paix- ne contestent plus le principe de
revoir ces articles du code", résume une journaliste algérienne,
militante des droits des femmes. "L'abrogation pure et simple du code de
la famille -adopté en 1984 par le régime à parti unique- exigée par
le camp laïque ne sera pas retenue par le gouvernement pour ne pas s'attirer
les foudres des camps conservateur et islamiste, mais, si les amendements
passent, l'essentiel aura été fait", soutient-elle. Toutes
les militantes féministes ne partagent pas cet optimisme. "C'est la
deuxième fois que l'on nous promet, toujours à la veille des élections, de
revoir le code de la famille... On n'y croit plus tellement", affirme
Ouardia Harhad, de l'Association indépendante pour le triomphe des droits des
femmes (AITDF). "L'actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait déjà
lancé l'idée en 1996 -il était déjà premier ministre-. Sous l'égide
de son gouvernement, nous avions participé à des ateliers, avec toutes les
représentantes des mouvements de femmes, les islamistes comprises, et on était
arrivées à leur arracher le principe de dix-sept amendements. Pour rien.
Aussitôt l'élection passée, on nous a oubliées", ajoute-t-elle. Aujourd'hui,
en compagnie de six autres associations de féministes, Ouardia Harhad préfère
militer dans le cadre du collectif 20 ans barakat ("20 ans, ça suffit
!"). "Abroger le code de la famille est un combat civique, cela ne
doit plus être un combat politique", dit-elle. "MERCI
AU ROI DU MAROC" A
Alger, dans une atmosphère préélectorale marquée par la lutte acharnée que
se livrent les partisans d'Abdelaziz Bouteflika et ceux de son ex-premier
ministre, Ali Benflis, candidat déclaré à la présidence, la proposition du
chef de l'Etat de réviser le code de la famille est considérée comme une manœuvre
"électoraliste"... aussi bien par les islamistes que par
leurs adversaires du camp "démocrate". De même que par les journaux
privés francophones comme Liberté et Le Matin qui, depuis des
années, appellent à l'abrogation du code de la famille, baptisé "le code
de l'infamie". Particulièrement
sceptiques à l'annonce de la révision du code, ces quotidiens ont dénoncé
une "manœuvre politicienne" et une "loi électoraliste".
Ajoutant au passage : "Merci au roi du Maroc", manière de suggérer
que la proposition de M. Bouteflika aurait été inspirée par la décision du
roi Mohammed VI de réviser la moudawana, l'équivalent du code de la
famille en Algérie. La
plus connue des féministes algériennes, Khalida Toumi, aujourd'hui
porte-parole du gouvernement, rétorque : "Tant mieux si les Marocains
ouvrent le bal. Tant mieux pour toutes les femmes du Maghreb si le roi du Maroc,
qui est aussi appelé le commandeur des croyants et est considéré comme le
descendant du Prophète, fait le geste d'aller vers plus de modernité."
Mme
Toumi est optimiste : elle pense que le code de la famille, contre lequel elle
s'est longtemps battue, n'atteindra pas ses vingt ans d'existence, le 19 avril
2004. Mais, prudente, elle "souhaite" que les amendements
passent par ordonnance plutôt que par l'Assemblée nationale. Féministe
radicale dans les années 1980 et 1990, Khalida Toumi n'a rien perdu de sa verve
de militante, même si son discours est plus pragmatique : "En tant que
laïque, je suis pour l'abrogation pure et simple du code de la famille. Mais le
président Bouteflika n'est pas laïque, et la République algérienne ne l'est
pas non plus..." Tewfik
Hakem Le Monde Le collectif
"20 ans, barakat !" Un
collectif appelé "20 ans, barakat !" (20 ans, ça suffit !) s'est créé
il y a quelques mois, qui regroupe les représentantes de six associations de défense
des droits des femmes basées en Algérie et une poignée de féministes algériennes
qui ont pu s'installer en Europe pour échapper à la guerre civile des années
1990. Ce collectif tente d'assurer des campagnes d'information pour que
l'abrogation du code de la famille se transforme "d'un combat de
militantes à un combat de citoyens", résume Ourida Chouaki,
enseignante. "La Tunisie a déjà un statut personnel égalitaire sauf
en ce qui concerne l'héritage ; le Maroc remet en question ses lois inégalitaires
entre femmes et hommes ; pourquoi l'Algérie resterait-elle à la traîne
?", ajoute-t-elle. En
Europe, les Algériennes du collectif leur donnent un sérieux coup de main.
Elles viennent de produire un disque sur lequel plusieurs artistes algériennes,
la plupart installées en France, dénoncent, dans une chanson, le code de la
famille : "Ô juge, qu'est-ce qui t'a pris ? Pourquoi as-tu peur de moi
? Je suis debout en toute saison, mes paroles sont sans venin. Nos voix s'élèvent
aujourd'hui parce qu'ici la femme n'a pas ses droits", dit le refrain
de la chanson. Le disque est sorti en Algérie et sera en vente le 4 décembre
en France. • ARTICLE
PARU DANS L'EDITION DU 06.12.03 Trois
militantes des droits des femmes témoignent des enjeux de la réforme pour la
société algérienne LE
MONDE | 05.12.03 Combat
politique ou débat civique ? Ourida
Chouaki
est professeur de physique à l'université Houari-Boumediène de Bab-Ezzouar
(banlieue est d'Alger). Célibataire, elle vit dans un appartement de quatre pièces
avec sa mère nonagénaire, sa sœur aînée divorcée et son neveu, âgé de 22
ans. Née à Tizi Rached, en Kabylie, en 1954, elle a, dit-elle, l'âge de "la
révolution algérienne". L'appartement est situé à l'intérieur même
de la mairie de Hussein Dey, dans un immeuble que la commune, du temps français,
réservait aux enseignants. Ourida
Chouaki est fille d'un instituteur qui a milité pour l'indépendance algérienne
au sein du Parti communiste algérien. "La famille a toujours baigné
dans le militantisme", se souvient-elle. Dans les années 1970, alors
que l'Algérie était portée par le socialisme de masse de Houari Boumediène,
Ourida milite dans un groupuscule d'extrême gauche. Première association de
femmes : "A l'époque, il nous fallait ruser pour pouvoir nous réunir.
Notre couverture, c'était un ciné-club pour femmes : Ahlam, "les rêves"
en arabe." Après
les émeutes d'octobre 1988 et l'instauration du multipartisme, les associations
peuvent militer en toute légalité. De la rue Didouche-Mourad (ex-Michelet) à
l'Assemblée populaire nationale (APN), Ourida ne compte plus le nombre de
marches auxquelles elle a participé pour "exiger" l'abrogation
du code de la famille. Elles étaient alors quelques dizaines de femmes à défier
les regards inquisiteurs et les quolibets des hommes : une minorité par rapport
aux dizaines de milliers de femmes en hidjab que les islamistes allaient faire défiler
dans les artères de la capitale pour réclamer, dès 1990, l'application de la
charia, la loi islamique. "A partir de ce moment-là, la cause des
femmes est devenue un enjeu politique qui dépassait nos revendications
citoyennes. Les jeux étaient pipés ; il nous a fallu du temps pour nous en
rendre compte", dit-elle. En
1997, Ourida Chouaki crée l'association Tharwa Fadhma N'Soumer, du nom de la célèbre
résistante berbère (1830-1863) au colonialisme français. Pour s'éloigner,
dit-elle, de ses anciens amis, structurés dans les partis politiques : "J'ai
vu des amis trotskistes défendre les islamistes ; j'ai vu une militante pour
les droits des femmes comme Khalida Messaoudi faire la tournée des zaouïas
-confréries de l'islam traditionnel au Maghreb- pour faire la campagne de
Bouteflika. Je suis kabyle et issue d'une famille de marabouts, mais pour rien
au monde, même pour barrer la route au FIS -feu le Front islamique du
salut-, je n'accepterai d'aller faire la tournée des confréries archaïques",
tranche Ourida. Aïcha
Dahmane Belhadjar est
secrétaire du parti, chargée de la section Femmes et famille. Au siège du
Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti islamiste modéré et légal),
elle affiche un sourire radieux : "Quand j'entends parler du code de la
famille, j'ai l'impression qu'on rejoue Don Quichotte en Algérie",
ironise-t-elle. Cette Oranaise de 39 ans a été députée de 1997 à 2002. Avec
le hidjab et le sourire, et enceinte de six mois, elle est apparue dans le champ
politique et médiatique algérien en laissant plus d'un observateur dubitatif.
L'ascension d'Aïcha Dahmane Belhadjar jusqu'au poste de vice-présidente de l'APN,
est-ce un signe de l'émancipation des femmes en Algérie, ou le contraire ? Fille
d'un militant du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique), elle
commence à militer au sein de l'UNJA (l'Union nationale des jeunes algériens,
affiliée au FLN) "en jeans et à vélo". A 21 ans, elle décide
de porter le voile. Elle est alors à l'université d'Oran, où elle prépare sa
thèse : comparaison du droit civil et du droit musulman. "Est-ce que
vous pensez que j'accepterai un jour que mon mari épouse une deuxième femme ?
La réponse est non, je vous rassure..." Pourtant, elle est contre la réforme
du code de la famille : "Ce n'est pas le moment. On est en campagne électorale,
qui s'annonce déjà mal avec la crise ouverte au sein du FLN. On nous ressort
le code de la famille comme une diversion. Pour éviter de parler des problèmes
qui n'ont pas été résolus par le gouvernement !" Sur le principe de
revoir certains textes du code de la famille, l'ancienne députée du MSP n'est
pas contre. "Mais il faut que tout le monde, sinon la majorité des
citoyens, soit convaincu du bien-fondé de la démarche", insiste-
t-elle. Nadia
Aït Zaï,
juriste et enseignante à la faculté de droit de Ben-Aknoun, a crée le Centre
de documentation pour les droits des femmes et de l'enfant. Dans le quartier du
Sacré-Cœur, au pied de la cathédrale, ce centre est animé par par deux
femmes, Nadia Aït Zaï et Sœur Vicky, une religieuse syrienne installée
depuis deux ans à Alger. "Ce
local appartient à l'Eglise. Il nous a été confié par Mgr Tessier depuis un
an",
dit Nadia Aït Zaï. Les ordinateurs sont neufs, les livres bien rangés. Ce
centre propose aux Algériens de venir consulter des études, des textes de loi
et des articles relatifs aux droits de l'enfant et des femmes en Algérie et
dans le monde. Diplômée
en 1976, Nadia Aït Zaï a tout de suite trouvé du travail aux Galeries algériennes.
Dans un pays où l'équité des salaires et des promotions est tout ce qui reste
de la "révolution socialiste", elle gravit les échelons jusqu'à
devenir chef du service juridique. Contactée par les femmes de l'UNFA (l'Union
nationale des femmes algériennes, qui dépend du parti unique, le FLN), elle
accepte de se présenter aux élections municipales en 1979. Jusqu'en
1984, elle est première adjointe au maire dans la commune d'Alger-Centre : "A
cette époque, la volonté politique était de pousser beaucoup de femmes à se
présenter aux élections." De cette période, elle ne garde pas que de
mauvais souvenirs : "Il y avait une volonté d'aller vers une parité
entre les hommes et les femmes. J'ai appris la gestion avec des hommes qui, pour
la plupart, étaient corrects et respectueux. La première fois qu'un homme a
refusé de me serrer la main, c'était en 1982. Sur le coup, je n'ai pas
compris." Deux
ans plus tard, une assemblée de "300 hommes et de 4 femmes"
votait le code de la famille. Nadia Aït Zaï, juriste et avocate, connaît les
textes de ce code par cœur, et leurs conséquences sur la société algérienne.
Pour autant, elle ne va jamais dans les manifestations féministes : "La
seule marche à laquelle j'ai participé, c'était pour dire non au
terrorisme..." Sa
position sur le code de la famille tranche avec celle des femmes militantes des
deux bords (laïque ou islamiste). "Chacun avance avec des raisons idéologiques,
culturelles et religieuses pour rejeter les arguments des autres. Néanmoins, un
seul concept peut les réunir : l'idée de l'égalité. Les uns et les autres
tiennent à ce principe. Il faudrait tenter de reprendre le débat à partir de
ce consensus." Tewfik
Hakem • ARTICLE
PARU DANS L'EDITION DU 06.12.03 |