Collectif 20 ans barakat Ile de France

 

 

l’humanité : 18 juin 2004

Algérie
Code de la famille : code de l’infâmie

Un concert est organisé ce soir, à Paris, pour sensibiliser l’opinion sur l’infériorisation des femmes contenue dans les textes de loi.

Le fantasme de la révision du Code de la famille deviendra-t-il bientôt une réalité ?

Le 9 juin 1984, le gouvernement offrait aux islamistes un Code de la famille inspiré de la charia. Vingt ans après, en maintenant cette loi, l’Algérie est désormais le dernier pays du Maghreb à institutionnaliser le sexisme. Des voix, là-bas et ici, s’élèvent de plus en plus fort pour l’abrogation du code.

Même les intégristes n’en veulent plus. N’est-t-il pas l’article le plus visible, le plus palpable du Code de la famille instauré le 9 juin 1984 ? Vingt ans plus tard, les trottoirs d’Alger et d’autres villes du pays accueillent des épouses répudiées. Avec leurs enfants, elles dorment là, victimes de la loi qui accorde automatiquement le logement au mari lors d’un divorce. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’un large consensus se dessine pour la suppression de cet article. Aïcha Bousbah, députée du parti islamiste Islah (1), estime ainsi : " Ce qui doit être modifié, c’est le droit de garde du domicile en cas de divorce. La femme devrait pouvoir le garder. " En revanche, elle se déclare pleinement d’accord avec la philosophie du Code de la famille qui institutionnalise l’inégalité entre les sexes et fait des femmes des mineures à vie.

Article après article, l’État acte la ségrégation des sexes. Ainsi, aucune ne peut se marier sans le consentement du père, du frère, d’un homme de la famille ou, à défaut, d’un juge (art. 11). Une fois au foyer conjugal, elle doit " obéir à son mari " et lui " accorder des égards en sa qualité de chef de famille " (art. 39). Alors que la polygamie est peu répandue dans la société algérienne, elle acquiert pourtant force de loi (art. 8). En cas de divorce, qui peut être unilatéralement décidé par l’époux (art. 48), la femme perd donc le logement (art. 52) et garde ses enfants sans en avoir la tutelle (art. 87), ce qui rend obligatoire l’autorisation du père pour bon nombre de démarches. Sans cette autorisation paternelle, la mère ne peut, par exemple, inscrire son enfant à l’école ou le faire hospitaliser. Par ailleurs, dans ce pays où tout Algérien est considéré comme musulman, la musulmane n’a pas le droit d’épouser un non-musulman (art. 31).

Un interdit s’appliquant également aux immigrées. Elles sont nombreuses à outrepasser cette loi. C’est le cas de Yasmine, mariée à Christian depuis une quinzaine d’années : " J’ai tenu à garder la nationalité algérienne. Mais dans aucun de mes papiers algériens il n’est fait mention de mon mariage. " D’autres immigrées n’en sont pas revenues quand elles sont tombées sous le coup du Code de la famille. Le droit français stipule en effet que les personnes étrangères sont soumises aux lois de statut personnel du pays dont elles ont la nationalité. Une situation pointée du doigt par le Haut Conseil à l’intégration, qui recommande dans un rapport : " Pour que les femmes issues de l’immigration ne soient pas soumises à un statut inégalitaire, il paraît souhaitable que le législateur s’achemine vers l’application de la loi du domicile, à l’instar de nombreux pays européens. "

Il n’est donc pas étonnant que la campagne Vingt ans, barakat ! (ça suffit !) soit lancée simultanément des deux côtés de la Méditerranée. Marrainée, en France, par l’avocate Gisèle Halimi, la chanteuse Sapho, la comédienne Nadia Kaci et la réalisatrice Yamina Benguigui, la campagne est relayée par de nombreuses associations féministes algériennes dans le but d’informer, de sensibiliser et de mobiliser pour l’abrogation du Code de la famille. En soutien à cette revendication, un concert est organisé aujourd’hui, à Paris (voir page XXXXXX), faisant suite à de nombreux débats et actions programmés en région parisienne, en Bretagne ou dans la région lyonnaise. Cette nouvelle mobilisation prolonge toutes celles que le mouvement des femmes en Algérie a entreprises depuis l’adoption du texte de loi en 1984. Sans, jusqu’ici aboutir à une quelconque révision du Code.

D’autant qu’à l’époque, le courant islamiste prenait de plus en plus d’ampleur dans ce pays et ailleurs, conforté par la révolution iranienne. Le président de la République algérienne Bendjedid Chadli (de 1979 à 1988) " a offert un beau cadeau aux islamistes en leur assurant un code de la famille sur mesure ", explique Sanhadja Akrouf, militante féministe franco-algérienne. " L’intégrisme, conjugué au système patriarcal, a entraîné une grave régression de la situation des femmes ", ajoute-t-elle. Sanhadja Akrouf raconte une anecdote révélatrice du contexte : " En 1989, je faisais partie d’une délégation reçue par le premier ministre pour lui faire part de notre indignation face à la violence envers une femme brûlée vive dans une ville du Sud pour la simple raison qu’elle vivait seule avec un enfant. "Êtes-vous sûres qu’il ne s’agissait pas d’une prostituée ?" ; telle fut la réaction de Mouloud Hamrouche, chef du gouvernement. "

En maintenant le Code de la famille inspiré de la charia, l’Algérie est désormais le dernier État du Maghreb à institutionnaliser le sexisme. En Tunisie, la proclamation de l’égalité entre les hommes et les femmes date de 1957. Tout récemment, le Maroc a transformé en profondeur la moudawana. Régulièrement, au moment de l’élection présidentielle ou lors de la célébration de la Journée internationale des femmes, des rumeurs de révision de la loi algérienne se répandent dans le pays. Aujourd’hui, on y croit d’autant plus fort que, selon les dires du président Bouteflika, l’Algérie ne peut être à la traîne de ses voisins. Le 26 octobre dernier, un mois après l’annonce de la réforme de la législation marocaine, le chef du gouvernement a créé une commission chargée de réfléchir à la révision du Code de la famille. Le 18 mai dernier, Sanhadja Akrouf et d’autres militantes franco-algériennes du collectif Vingt ans, barakat ! ont été reçues à l’ambassade d’Algérie en France. " Notre interlocuteur nous a dit que dans la conjoncture internationale actuelle, l’Algérie ne pouvait laisser ce dossier en l’état. "Nous devons être dans l’air du temps", a-t-il déclaré. Mais aucune date de révision du code n’a été annoncée ", rapporte Sanhadja Akrouf. Cependant, la ministre Khalida Messaoudi-Toumi, dans un entretien publié dans l’hebdomadaire Elle (1), affirme que le gouvernement s’apprête à s’attaquer à cette question " devenue prioritaire, avant même l’éducation. La session parlementaire de printemps se terminant en juillet, le projet de loi sera sans doute présenté à l’Assemblée d’ici là ". Toutefois, la ministre avance que le président Bouteflika profitera du cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre, le 1er novembre 1954, pour " annoncer de grands changements. Aujourd’hui, la révision du Code de la famille n’est plus un fantasme, mais une réalité ". Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Nous verrons bien. Quoi qu’il en soit, Sanhadja Akrouf et ses camarades, femmes et hommes, d’ici et de là-bas, entendent " maintenir la pression et rester vigilant(e)s sur le contenu du nouveau texte de loi ".

Mina Kaci

(1) Elle du 31 mai 2004.

Remonter

 

" La voix de l’Algérie qui vit et se révolte "

À l’initiative du collectif Vingt ans, barakat !, vingt-six artistes ont uni leurs voix dans une chanson dénonçant le " code de l’infamie ". Ce soir, un concert est organisé à Paris pour demander son abrogation.

Des chants séculaires du Djurdjura, immortalisés par Taos Amrouche, au franc-parler de l’aïeule du raï Cheikha Remitti, cauchemar des bigots, c’est souvent par la mélodie que les femmes algériennes ont pris la parole, dit leurs douleurs, leurs vies quotidiennes, leurs espoirs et leurs luttes. La tradition ne se perd pas. Le single Ouech dekyel cadi (" Eh juge qu’est-ce qui t’as pris ? ") donne à entendre la voix de l’Algérie qui vit et se révolte. La révolte contre le Code de la famille est chantée sur tous les tons et dans trois langues : arabe, kabyle, français. Il unit des femmes algériennes des deux rives de la Méditerranée, des jeunes artistes et des interprètes plus connues. L’Argentine Barbara Luna et la Gabonaise Annie-Flore Batchiellilys mêlent leurs voix à celles de leurs amies algériennes. Faisant leur la cause des femmes, des chanteurs participent au chéur final. La chanson, composée sur une mélodie de base chaâbi (musique populaire algéroise) s’ouvre vers d’autres genres musicaux : polyphonie kabyle, tonalités rap, chaoui, raï. Cette idée d’une chanson pour " battre le tempo " de la campagne Vingt ans, barakat ! a germé d’une rencontre entre artistes et militantes à l’occasion du festival Femmes d’Algérie en mars 2003, au Cabaret sauvage. " Une chanson vaut parfois mille discours ; c’est un support pour sensibiliser de manière large et populaire ", explique Samia Messaoudi, membre du collectif. " Artistes et militantes ont écrit le texte ensemble ", raconte Mamia Cherif, chanteuse de jazz, qui a participé à l’aventure. Née en France, mais ayant acquis depuis peu la nationalité française, elle confie avoir été elle-même confrontée aux conséquences du Code de la famille. Son geste artistique est chargé de conviction : " J’ai subi ce statut de femme sans droits. Mon compagnon, français, n’a jamais été accepté. Et comme chanter était tabou, je ne me suis autorisée à entrer dans la musique que très tard. " L’enregistrement de la chanson a été pour elle une expérience extraordinaire : " Des femmes se sont rencontrées, ont tissé des liens d’amitié dans ce combat commun. J’ai rencontré Djura, dont, adolescente, j’écoutais les disques en cachette. Elle était mal vue, car libre et revendicative. " Le rêve que Mamia Chérif partage avec les autres artistes et militantes de Vingt ans, barakat ! : donner, toutes ensemble, un concert en Algérie. Les entraves du gouvernement algérien ont empêché la concrétisation de ce projet le 8 mars dernier.

Déjà, plus de 6 000 disques ont été diffusés, ici et là-bas. La chanson a donné lieu à la réalisation d’un clip vidéo diffusé dans les rencontres organisées par le collectif. Des concerts ont eu lieu à Dijon et à Montpellier. Ce soir, c’est l’Espace Reuilly, à Paris, qui accueille des artistes engagé(e) s dans la campagne Vingt ans, barakat !

Rosa Moussaoui

Concert de solidarité pour l’abrogation du Code de la famille, ce soir, à partir de 20 heures, Espace Reuilly, Paris 12e, métro Montgallet. PAF : 10 euros ; TR : 5 euros.

Tous les bénéfices dégagés par le disque et les concerts servent à financer la campagne Vingt ans, barakat ! en France et en Algérie.

 

" Nous chantons tout haut ce que nos mères fredonnaient tout bas. "

Ex-membre de Djurdjura, groupe de musique algérien, l’artiste Djura explique son engagement contre le Code de la famille. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a conduit à participer à la campagne " 20 ans barakat " ?

Djura. Cette lutte pour l’émancipation des femmes se confond avec mon parcours depuis plus de vingt ans. " Djurdjura " fut le premier groupe de musique algérien à la fois féminin et féministe. À l’époque nous exprimions les problèmes spécifiques rencontrés par les femmes dans notre culture d’origine. Puis nous avons pris conscience de l’universalité du combat des femmes pour l’égalité. C’est cela que j’ai voulu exprimer dans mon dernier album, Univers-elles. L’engagement au côté du collectif " 20 ans barakat " est pour moi une belle rencontre. Lorsque j’ai commencé ce métier, j’étais seule à prendre ainsi la parole. Aujourd’hui de nombreuses voix, en particulier celles de jeunes artistes, s’unissent pour dire " ça suffit ! ". Il est grand temps que la société algérienne s’inscrive dans la modernité en reconnaissant aux femmes leurs droits fondamentaux. Le peuple algérien a énormément souffert. Quarante ans après l’indépendance, j’ai le sentiment que chaque avancée est aussitôt détricotée, que tout est à reconstruire en permanence. Les femmes sont les premières proies de la crise sociale, économique, culturelle que vit l’Algérie.

Diriez-vous que nous vivons une période de " régression " pour les droits des femmes ?

Djura. J’en suis convaincue. En Algérie comme en France dans des familles immigrées, certaines jeunes femmes subissent ce qu’ont vécu leurs aînées il y a des décennies : mariages forcés, contraintes imposées par des mentalités rétrogrades, autorité du père, du frère ou du mari, interprétation étroite d’une religion devenue valeur refuge. Les femmes sont aussi en première ligne face au développement des intégrismes. C’est une véritable répression que ces idéologies font s’abattre sur les femmes. Avant la révolution iranienne, nous n’avions jamais vu de voiles noirs. Le poids des intégrismes est un facteur de régression pour les femmes. Il est grand temps que les choses bougent, avancent, en premier lieu dans la loi. En tant que femme, en tant que mère, j’ai envie de transmettre autre chose que des valeurs désuètes. Des hommes commencent à s’approprier ces enjeux, c’est fondamental. Ils se rendent compte que la société ne pourra évoluer si les femmes ne sont pas libres, égales et respectées.

Le chant est-il un vecteur privilégié pour propager ce message en faveur de l’émancipation des femmes ?

Djura. Nous chantons tout haut ce que nos mères fredonnaient tout bas. Nous sommes issues d’une tradition orale, dans laquelle le chant touche plus les sensibilités que les images ou l’écrit. La chanson est un moyen d’expression populaire et efficace, qui nous permet de toucher beaucoup de monde. On ne fera pas la révolution avec des chansons, mais on la fera en chantant ! Mais peu importe le moyen d’expression, l’essentiel est de faire bouger les choses pour faire avancer les droits des femmes.                                                                   

Propos recueillis par Roussa Moussaoui

Algérie
1984, le tournant réactionnaire

Le 29 mai 1984, le Parlement algérien dans lequel ne siégeaient que des députés du parti unique au pouvoir, le FLN (Front de libération nationale), adopte le Code de la famille, d’inspiration islamiste. Ce code institutionnalise la polygamie, la répudiation et limite drastiquement les droits des femmes, leur conférant de fait un statut de non-citoyenne. Dans un contexte d’absence de libertés démocratiques, d’inexistence d’une presse libre et pluraliste, des femmes conduites par des moudjahidate (anciennes combattantes de la guerre d’indépendance) avaient tenté, par des manifestations de rue, de s’opposer à son adoption. Le président Chadli Bendjedid, qui avait reçu une délégation de femmes, avait suspendu dans un premier temps sa discussion par les députés du FLN, avant d’opérer une reculade. Dans l’hémicycle, Baya Hocine, ancienne combattante du FLN - condamnée à mort durant la guerre d’Algérie alors qu’elle n’avait que dix-sept ans -, prend la parole pour s’opposer à ce texte. Elle est raillée, sifflée, insultée par des hommes dont aucun n’avait pris part à la guerre d’indépendance. Baya Hocine démissionnera de son mandat de député, quittera le FLN, non sans avoir adressé une lettre au vitriol au chef de l’État algérien. Hormis le président du Parlement, Rabah Bitat, l’un des fondateurs du FLN historique, et quelques députés, la quasi-majorité des parlementaires ont voté à l’unisson ce texte que les femmes avaient alors qualifié de " code de l’infamie " et ce, en violation de la Constitution de l’époque stipulant l’égalité entre les femmes et les hommes.

En 1984, le contexte politique s’y prêtait. Un vent réactionnaire soufflait sur l’Algérie. Résolus à donner un coup d’arrêt à " la voie socialiste de développement " incarnée par le président Boumedienne avant son décès en 1978, ses successeurs opèrent un recentrage de l’État autour des valeurs islamistes au détriment de l’option socialiste. L’islam, religion d’État, devient un instrument de légitimation du pouvoir. L’aile gauche du FLN, alors aux commandes du temps de Boumedienne, est écartée des instances du pouvoir, l’islamisme politique est encouragé, les communistes et les démocrates sont durement réprimés. Et, point d’orgue de ce tournant réactionnaire, les femmes sont sacrifiées sur l’autel de l’islamisation rampante de la société algérienne. Vingt ans après, alors qu’en Tunisie et au Maroc les femmes bénéficient d’un statut de citoyenne, l’Algérie reste à la traîne au Maghreb.

Hassane Zerrouky

 

Remonter 

 

ACCUEIL

Présentation du Collectif 

Les associations

Le Code de la famille

La presse

Quelques dates 

La campagne en France

AGENDA